Pépé chat ; ou comment Dieu a disparu
02 juin 2024Un spectacle produit par laGeste (Belgique) et vu au Théâtre de la ville le 1 juin 2024.
Texte et mise en scène : Lisaboa Houbrechts
Musique : Bach
Arrangements pour accordéon et ténor : Philippe Thuriot.
Comédiens et chanteurs : Stefaan Degand,Elsie de Brauw, Pieter Ampe, Eddie Dumont, Jules Dorné, Lanse Duym, Ferre Vereecken, Wolf de Graeve, Boule Mpanya, Kadi Jürgens, Alberto Martinez, Elisa Soster, Philippe Thuriot.
Scénographie : Hildgard de Vuyst / Lumière : Fabiana Piccoli
Direction musicale et arrangement : Pedro Beriso
Genre : Théâtre musical
Public : Adulte
Durée : 1h45
C’est une amie, comédienne et photographe de son état, qui m’a recommandé « Pépé chat : ou comment Dieu a disparu ». Sans chercher plus loin, j’ai réservé. À l’issue de la représentation, j’ai bien compris l’injonction de mon amie, mais malgré d’indéniables qualités, le spectacle m’a pesé.
La pièce, en partie inspirée par la propre histoire de Lisaboa Houbrechts, raconte la reproduction du viol et de l’inceste sur trois générations. « Pépé Chat », le grand-père, victime à 10 ans d’un prêtre pédophile, est la figure tutélaire de cette saga tragique. Brisé par l’abus, mais aussi par l’occupation allemande et la collaboration d’un milieu traditionnel flamand étouffant. Il ne saura que briser sa propre femme dévote, s’enfermer dans le silence et reproduire l’interdit sur sa petite-fille. Parallèlement, son beau-frère, revenu diminué physiquement et psychiquement des camps, s’en prendra à son tour à son neveu.
Pour aborder ce sujet délicat, Lisaboa Houbrechts a eu une idée géniale. Faire revivre cette chaine de violences en contrepoint de « la passion selon Saint-Jean » de Bach. Si la passion du Christ peut faire écho aux souffrances des protagonistes, le sublime du chant et de la musique s’oppose au sordide du vécu de cette famille. Et tandis que la liturgie (ensemble du culte public) invite à la foi et au pardon avec la réalité des traumatismes. Le comportement silencieux du grand-père et le refuge dans la piété de « Mémé chat » invitent les trois victimes à tuer Dieu.
La scénographie et la lumière sont splendides. Le grand plateau du théâtre de la ville offre la vue d’un espace vide d’où Dieu a manifestement déserté. La lumière, tantôt blafarde, tantôt mystique, éclaire une sorte de conteneur dont quelques bancs et caisses de bois. Le récipient, métaphore du siège des souvenirs, fait office de chaire, de castelet, d’escalier de pénitence ou encore de pièce refuge où l’indicible sera perpétré. L’une des parois, amovible, sert de support soit à l’ombre chinoise démesurée du prêtre pédophile, soit à la crucifixion contemporaine du Christ en forme de marionnette. Quand elle tombe, elle fait s'envoler des une quantité immense de papiers comme autant de souvenirs qui surgissent. Quant aux bancs et autres caisses, ils suggèrent, selon leur disposition, l’église, l’école et la maison jonchée des merdes de chats que « Pépé et Mémé chat » élèvent.
Dans ce bel écrin, ils sont treize sur scène, sonorisés. Ils parlent essentiellement flamands et le texte est surtitré. Tous sont chanteurs et comédiens. Quatre jeunes ados jouent admirablement, notamment Eddie Dumont dans le rôle de la petite fille et Jules Dorné dans celui de Pépé chat enfant. Pieter Ampe, dans le personnage du Père Haagbraag et de l’oncle dérangé, est admirable, ainsi que Boule Mpanya dans l’incarnation de l’ange noir rédempteur. Les solistes féminines sont inégales, mais globalement agréables à entendre sur la bande de la Passion ou dans l’arrangement de l’opus à l’accordéon. En revanche, leur collègue masculin livre une prestation tout bonnement ridicule.
Le début de la pièce est suffocant de justesse et de beauté trouble. Mais à mesure que le spectacle se déroule, le rythme s’affaibli et la lourdeur l’emporte. L’auteure et la metteure en scène introduisent des thématiques contemporaines (le genre, l’homophobie, la violence faite aux femmes, le cancer) qui ne font que plomber une ambiance naturellement glauque. On tombe dans le pathos, un ton pathétique excessif.
Nombre de spectateurs sont partis. Ceux qui sont restés ont généreusement applaudi. Je me situe dans l’entre-deux, admirative du parti pris de mise en scène et du visuel, mais franchement agacée par la tournure de l’intrigue.
Catherine Wolff