Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?
Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?

Spectacle de la Compagnie Y (69) vu le vendredi 18 juillet 2024 au Théâtre des Carmes (84) à 12h05 dans le cadre du Festival OFF d’Avignon 2024.

 

 

Mise en scène : Etienne Gaudillère 

Conception : Giulia Foïs

Comédiens : Marion Aeschlimann, Étienne Gaudillère, Astrid Roos, Jean-Philippe Salério

Créateur lumière : Romain de Lagarde 

Création son : Romain de Lagarde 

Scénographie : Romain de Lagarde , Etienne Gaudillère, Claire Rolland

Type de public : Adulte uniquement à partir de 15 ans

Genre : Théâtre et journalisme

Durée : 1h30

 

“L’homme et l’artiste ont le même compte en banque.”

“Ce sont les montres qui n’existent pas, les agresseurs et les violeurs, ils sont à nos tables.”

Le rideau s'ouvre sur une scène tapissée de couvertures de livres et de unes de presse, évoquant des polémiques brûlantes comme les accusations contre Roman Polanski, la prise de parole de Catherine Deneuve sur la “drague maladroite”, les propos de Virginie Despentes ou la couverture des Inrockuptibles célébrant Bertrand Cantat. Etienne Gaudillère nous accueille avec ses comédiens à réfléchir autour d’une question "Faut-il séparer l'homme de l'artiste ?", une création audacieuse et percutante d’un comédien et metteur en scène et d’une journaliste.

 

La pièce commence par une introspection : “Tu es comédien ou comédienne, tu rêves de faire du cinéma, tu galères un peu, et un jour, tu reçois une proposition pour le rôle de tes rêves. Le réalisateur, c’est Roman Polanski. Tu fais quoi ?” Cette question, à la fois personnelle et universelle, constitue le fil rouge de cette performance. En pleine ère #MeToo, la question de dissocier l’homme de l’artiste, particulièrement en cas de comportement répréhensible, est plus pertinente que jamais. 

Ce que l’on oublie, c’est que le débat s’est modifié dans le temps. Fondamentalement, au 19ᵉ, on parlait de la séparation entre l’œuvre et l’artiste. Marcel Proust s'oppose à cette thèse en défendant que l'homme et son œuvre ne sont pas deux mondes différents : il n'y aurait pas l'homme du monde et l'écrivain, le moi social et le moi littéraire. Le travail du critique consisterait donc à ne pas séparer l'homme de l’œuvre (Charles-Augustin Sainte-Beuve). Flaubert peut être en désaccord avec l’acte de l’adultère, mais le faire commettre à Madame Bovary.

“Faut-il séparer l'homme de l'artiste ?” se distingue par son approche expérimentale. La pièce est née du concept de Grand ReporTERRE, qui donne carte blanche à des artistes et journalistes pour créer en une semaine un spectacle sur une actualité brûlante. Cette temporalité intermédiaire, entre celle des médias et celle du théâtre, offre une perspective unique et profondément ancrée dans ce qui touche notre société.

Étienne Gaudillère, metteur en scène et comédien, accompagné de Giulia Foïs, journaliste et autrice engagée, nous plongent dans une performance hybride entre théâtre et documentaire. Étienne Gaudillère joue son propre rôle dans son apprentissage du mouvement MeToo. Il explique lui-même être controversé et perdu dans un monde dans lequel tout le monde est très positionné. Il va comprendre peu à peu que tout le monde, homme et femme, est impliqué dans cette problématique. Quant à Giulia Foïs (interprétée par Marion Aeschlimann), installée à son bureau, elle joue le rôle de la conscience et de l'experte. Elle confronte le public aux faits, aux chiffres et aux témoignages difficiles, sans tomber dans la moralisation, grâce à une subtilité qui rend la pièce à la fois informative et émotionnellement chargée.

Astrid Roos et Jean-Philippe Salério, les deux autres comédiens, apportent une dynamique à cette performance. Leur énergie et leur humour permettent d'aborder des sujets sombres sans lourdeur, tout en maintenant une profondeur réflexive.

Au-delà de la performance, la pièce invite à une réflexion nécessaire et nuancée sur notre relation aux œuvres d’artistes controversés. En touchant à la fois les sphères intime et publique, Étienne Gaudillère et Giulia Foïs ne cherchent pas à fournir des réponses simples, mais à ouvrir un espace de dialogue apaisé et fondé.

On ne nous dit pas de cancel tout le monde, ni de bannir les artistes, mais bien d’être conscient de qui ils sont avant de voir un quelconque talent et chef-d'œuvre. Les artistes sont des faux amis fantasmés dans nos esprits. L'homme peut changer, mais on n'oublie pas en mémoire aux victimes.

Par son originalité et sa profondeur, le spectacle s’impose comme une œuvre essentielle de notre époque. Elle redessine les contours de notre histoire de l’art, délogeant les "grands hommes" de leur piédestal pour les confronter à la réalité de leurs actions. 

Je suis sortie avec une grosse larme à l’œil. Un débat d’un nouveau genre, urgent et nécessaire. À voir.

 

Clara ROCHE

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