L’Alouette
19 juil. 2024Spectacle de la Compagnie Hagard (75), vu le jeudi 18 juillet à 21h55 au Théâtre des Barriques dans le cadre du Festival d’Avignon.
Texte : Jean Anouilh
Mise en scène : Cécile Palou, Julia Uzan
Avec : Romain Amardeilh, Antoine Gros, Bérénice Le Mestre, Solène Merran, Jules Redureau, Thomas Richard, Diane Simon, Vladimir Volpert
Création sonores : Jules Redureau
Création lumières : Cécile Palou, Julia Uzan
Public : Tout public à partir de 10 ans (violences physiques)
Durée : 1h20
« Tant que des femmes meurent à cause de ce qu’elles portent, l’histoire de Jeanne d’Arc devra être racontée. ». Cécile Palou et Julia Uzan, metteuses en scène.
1431. Rouen. Jeanne d’Arc fait face au tribunal ecclésiastique. Elle le sait, elle sera condamnée à l’issue de ce dernier.
L’Alouette raconte l’histoire de Jeanne d’Arc en alternant entre la temporalité du procès et celle, sous forme de flashbacks, des événements majeurs qui l’y ont amenée. Dans son texte, Jean Anouilh s’amuse à brouiller les pistes entre la réalité et la fiction. La place du spectateur elle-même est constamment questionnée. On ne sait plus si on assiste à un spectacle ou si on est dans le spectacle et qu’on assiste au procès.
Dès l’entrée dans la salle, la place du spectateur et celle du comédien sont remises en cause. On est immédiatement accueilli par les huit comédiens en train de se préparer pour la représentation. Certains répètent leurs textes et découvrent avec horreur qu’ils ne les connaissent toujours pas, d’autres s’échauffent la voix, s’étirent dans des positions toutes plus farfelues les unes que les autres, d’autres encore se faufilent dans le public et se font passer pour des spectateurs. Cette immersion initiale crée une confusion volontaire, mettant en place l’ambiguïté entre réalité et fiction.
Ils évoluent ainsi sur une scène presque vide qui ne contient que six cubes modulables qui serviront tantôt de trône, tantôt de bûcher. Cette scénographie très épurée permet de mettre l’accent sur le texte, qui résonne d’autant plus fort dans cet espace dépouillé.
Les huit comédiens incarnent plus d’une quinzaine de rôles. La compagnie Hagard nous offre toute une panoplie de personnages, parfois touchants, parfois exécrables, souvent caricaturaux, qui gravitent autour de Jeanne. Elle est la seule qui reste elle-même pendant toute la durée du spectacle. À travers cette multitude de personnages, ils apparaissent de temps en temps comme un seul bloc, une foule sans visage autour de Jeanne. Ils sont un chœur, ils sont ses voix. Ce choix de mise en scène renforce l’idée de Jeanne comme une héroïne quasiment mythique. C’est seule contre tous qu’elle doit avancer, guidée par ces voix qu’elle est la seule à entendre. Elles sont sa seule compagnie, toujours près d’elle, jusqu’au moment tragique où elles finissent, elles aussi, par l’abandonner.
L’Alouette nous fait comprendre avec beaucoup d’émotion que l’histoire de Jeanne d’Arc ne doit jamais cesser d’être racontée. Jeanne est une figure féminine importante. Utilisée puis jetée par les hommes, autant par son père que par le Roi Charles VII, elle continue de se battre. Elle refuse de rester « à sa place », de se soumettre. Elle est tactique, fourbe parfois, manipulatrice quand il le faut. Elle est intelligente et forte, mais aussi naïve et occasionnellement elle doute, elle se trompe. Ce sont ces faiblesses qui la rendent d’autant plus touchante, elles la rendent humaine.
À toutes celles qui se battent pour pouvoir être qui elles sont, pour ne pas avoir à s’écraser constamment, qui lèvent le poing et le menton en refusant de plier sous le joug du patriarcat, vous êtes toutes Jeanne. Nous sommes toutes Jeanne. « Sorcière », « hérétique », aujourd’hui devenu « hystérique ». Jeanne d’Arc est intemporelle.
Marceline Wegrowe