Monstres
17 juil. 2024Spectacle du Collectif Monstres (75), vu le jeudi 11 juillet à 17h35 à La Factory dans le cadre du Festival d’Avignon.
Texte : Elisa Sitbon Kendall
Mise en scène : Elisa Sitbon Kendall, Gaïl-Ann Willig
Avec : Bonnie Charlès, Jacques-Joël Delgado, Olenka Iluga, Kerwan Normant
Régie : Elise Lebargy
Public : Tout Public à partir de 10 ans
Durée : 1h10
« Pourquoi tu laisserais les autres raconter ton histoire à toi ? On parle de toi, sans toi. »
Les comédiens sont déjà sur scène lorsque les spectateurs font leur entrée. Ils rient et chantent, pendant que la musique fait vibrer les murs et que l’alcool coule généreusement.
Le spectacle commence sur cette réunion tardive entre amis. Noé est un jeune prodige écrivain de théâtre. Très attendu à la suite de son dernier succès, il décide de partir en résidence avec ses amis et comédiens - Amédée, Sara et Angèle, pour créer ce qui sera sûrement son prochain succès. Ce projet devrait être celui qui leur donnera la reconnaissance dont ils rêvent tous tant. Il s’agit d’une pièce inspirée de l’œuvre de Simone et André Schwartz-Bart sur la vie d’un migrant haïtien et de sa femme.
Les répétitions commencent dans l’effervescence et le bonheur de la création. Cette ambiance heureuse et bon enfant va pourtant très vite se dégrader quand, déboussolée par les indications de scènes de Noé, Angèle va essayer de le confronter sur ses choix de mise en scène qu’elle juge néfastes.
Pour elle, ce n’est pas seulement une histoire d’amour qu’ils sont en train de mettre en scène, mais bien l’histoire de toute une culture qui, aujourd’hui encore, souffre tous les jours d’un racisme banalisé. Elle l’accuse, à raison, de perpétuer des stéréotypes dangereux sur une histoire qu’il ne connaît pas et qui ne le concerne pas. Très touché par ses remarques, Noé ne comprend pas.
C’est avec brio que le texte aborde cette notion d’appropriation culturelle qui prend énormément de place dans les discussions sociétales aujourd’hui. Chacun des personnages y réagit de manière bien différente, une manière très juste de représenter tous les avis divergents sur la question. Cela va d’Angèle, qui se révolte et enrage, à Amédée qui, bien que concerné, accepte la situation telle qu’elle est car « tant qu’il n’est personne, il ne peut changer les choses », en passant par Sara, qui pense que n’importe qui peut écrire sur n’importe quoi. Et puis Noé. Noé qui ne comprend pas, qui n’essaye même pas de comprendre. Il n’écoute pas. Tout de suite, il se sent presque agressé. Il est pour lui impossible de concevoir pourquoi il ne pourrait pas parler de quelque chose simplement parce qu’il ne l’a pas vécu. Il oscille entre culpabilité et refus d’admettre qu’il a tort, jusqu’à complètement perdre les pédales et finir par insulter tout le monde sur les réseaux sociaux. Lui aussi mène une bataille à l’intérieur de lui-même. Il ne sait pas qui il est ni comment faire partie de cette société à laquelle il appartient. Il se sent légitime de parler de quelque chose qu’il n’a pas vécu, car il ne se sent pas légitime d’être uniquement qui il est.
Le problème n’est pourtant pas dans la légitimité ou non de parler de quelque chose lorsqu’on n'est pas concerné. Le problème est de ne pas se renseigner auprès des personnes qui le sont, de ne pas comprendre les choses qui perpétuent des stéréotypes dangereux à ne pas répéter.
Le texte poignant est sublimé par l’interprétation merveilleusement juste des comédiens qui nous offrent cette histoire comme si c’était la leur, qui ressentent les émotions de leurs personnages si fort que nous la vivons à leurs côtés.
Monstres, c’est l’histoire d’une quête d’identité, de mémoire. Ce sont des jeunes en soif de représentation, d’existence. Comment se faire une place dans ce monde en arrivant à rester soi-même ?
Marceline WEGROWE