Les chroniques
Les chroniques

Un spectacle produit par Le Théâtre Gérard Philipp (93) et vu au TGP le 2 décembre 2024.

 

D’après : Emile Zola

Adaptation et  mise en scène : Eric Charon

Scénographie : Zoé Pautet

Comédiens : Zoé Briau, Eric Charon, Aleksandra de Cizancourt, Magaly Godenaire, David Seigneur

Musique et chant : Maxime Perrin, Samuel Thézé

Lumière : Julie-Lola Lanteri

Costumes : Julie Scobeltzine

Genre : Théâtre

Public : Tout public

Durée : 2H10

 

En principe, j’évite les spectacles basés sur un roman. Mais j’aime bien Zola et je ne sais pourquoi, le titre « chroniques » m’a laissé penser à un travail sur les écrits journalistiques de l’écrivain autour de l’affaire Dreyfus. Contre-sens total et tant mieux car la proposition présentée par Eric Charon a largement dépassé toutes mes attentes.

 

C’est vrai qu’il est sacrément polysémique ce mot, chronique : chronique pour une tribune médiatique, chronique pour une maladie, chronique judiciaire. Il comporte dans tous les cas cette notion de répétition dans la durée. N’est-ce pas le postulat des Rougon-Maquart. Cette hérédité des tares et de la misère sociale ? Aujourd’hui, on parlerait de déterminisme et de transgénérationnel. Cet anachronisme sémantique infuse tout le spectacle pour faire entendre la contemporanéité des thèmes portés par Zola. Dans cette optique, Eric Charon a fait un montage de deux romans, "L’Assommoir" et "La Bête Humaine" en partant de Jacques Lantier, tueurs de femmes, pour remonter à son enfance chez Gervaise. Au texte original, il a adjoint le procès de Jacques mené par une juge femme. Tiens, tiens, et si c’était la chronique judiciaire du féminicide ? Quoiqu’il en soit, moi qui connais  aussi bien "L’Assommoir" que je connais mal la "bête humaine", je peux attester que l’on peut assister au spectacle totalement vierge des romans initiaux.

Cette prouesse relève du montage des textes, donc, et des transitions. Transitions d’un roman à l’autre, d’une scène à l’autre, d’un personnage à l’autre. C’est d’une fluidité déconcertante. Ils sont 5 comédiens, non sonorisés, à se partager 15 rôles. On peut mesurer leur talent à leur propension à se métamorphoser en changeant de personnages. C’est le cas d’Eric Charon lui-même qui campe, tour à tour, un Coupeau (mari de Gervaise) gentiment lâche et alcoolique et un Roubaud (mari de Séverine) en parangon du pervers narcissique. Zoé Briau n’est pas en reste entre une Clémence (petite-main de Gervaise) délurée et une Séverine (femme de Roubaud), psychiquement morte. On pourrait continuer ainsi notamment avec Aleksandra de Cizancourt. Ils portent une émotion intense que renforcent les costumes contemporains, la lumière et surtout la musique live composée et interprétée par Maxime Perrin et Samuel Thézé. La scénographie, simple et diablement efficace, achève cette immersion dans le monde de Zola et qui reste malheureusement le nôtre. Le spectacle commence sur le parvis et le hall du théâtre. C’est le lavoir et le public incarne les lavandières qui stimulent le crêpage de chignon entre Gervaise et "la Poisson". Dans la salle, par un dispositif bi-frontal, nous sommes tout aussi bien les noceurs que Gervaise a moins que plus invités à sa fête ou bien les jurés de l’audience. L’espace scénique est seulement revêtu d'une table en formica, de quelques chaises et tabourets. Quelques accessoires (tréteaux, table roulante, étendoir et lampe) complètent peu à peu le décor. Dans sa sobriété, il permet à la violence des situations de prendre toute sa place.

 

« Les chroniques » est un spectacle d’une grande intelligence et d’une grande finesse. La métaphore du train en est le plus bel exemple. Omniprésente en lumière et en bruitage, elle signifie cette envie d’ailleurs, rendue impossible par les violences sociales et intra-familiales.

 

Catherine Wolff

 

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