En une nuit, notes pour un spectacle
En une nuit, notes pour un spectacle

Un spectacle produit par Habemus Papam (Belgique) et vu au 104 le 10 janvier 2025.

 

Écriture, mise en scène, interprétation : Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette, Eva Zingaro-Meyer

D'après l'œuvre de Pier Paolo Pasolini

Co-mise en scène et assistanat : Orell Pernot-Borras

Scénographie et création de costumes : Elsa Seguier-Faucher

Création lumières : Caspar Langhoff et Lila Ramos Fernandez

Régie lumière : Lila Ramos Fernandez

Assistanat à la mise en scène : Antoine Herbulot

Regard scénographique : Nicolas Mouzet-Tagawa

Genre : Théâtre

Public : Tout public

Durée : 1H45

 

C’est dans le programme du 104 que j’avais repéré « En une nuit, notes pour un spectacle ». Mais la veille, je réalise que ce travail est une variation sur Pasolini. Aïe, je n’en ai jamais été une afficionada ! La place était réservée, j’ai lutté contre ma flemme et j’ai tellement bien fait !

 

Ce qui m’avait attiré dans le synopsis, c’était le procédé théâtral annoncé. Une mise en abyme de spectacle, une sorte de « work in progress » pour appréhender Pasolini ; sa vie, sa pensée, le sens politique de son assassinat.

Ils sont quatre sur scène, deux hommes et deux femmes, en voix naturelle. Le décor est la reconstitution du terrain vague où Pasolini a été retrouvé affreusement mutilé : du sable, un banc simili béton à jardin, un bric-à-brac à cour pour mieux restituer les borgates (cabanes de bidonville) dont l’une sert de loge. En fond de scène un cyclo bleu suggère la mer ou fait office d’écran de projection pour la traduction.

Le spectacle est en effet pour partie en italien surtitré. Il commence ainsi avec le monologue d’une amie de Pasolini qui pose, à la fois dramatique et drôle, les jalons de la vie de Pasolini de son arrivée à Rome depuis son Frioul natal jusqu’à l’assassinat. Comment l’énoncer, cet assassinat, c’est-à-dire quel sens lui donner ? Les comédiens jouent trois propositions (la tragédie, le fait divers, le processus politique) avec force musiques, lumières et poses ad hoc (les pleureuses, l’ouvrier et la kolkhozienne, Maigret). Cette réflexion sur l’énonciation participe du geste théâtral proposé par la jeune troupe en hommage au refus radical qui est le fondement même de la philosophe et de la vie de Pasolini. Refus radical d’avoir car « avoir, c’est posséder et détruire ». Une pensée qui à l’aune des trente glorieuses prédit la disparition d’un monde, celui de la diversité des usages, du sensible, des langues et de la nature. Etonnant, avec ce marxisme humaniste, qu’il ait été assassiné ! Le mobile politique est d’autant plus évident que l’enquête a été bâclée et que toutes les demandes de réouverture ont été refusées, la dernière tentative datant de 2023.

 Une fois l’option politique retenue, nous entrons davantage dans la pensée  pasolinienne : entretiens radiophoniques rejoués, fin du monde sensible pressenti dans une scène en rouge et qu’accompagnent des  Lamentu di grutti (chants en voie de disparition), face à face des morts et vivants qui donne lieu à une belle complicité avec le public, ode à la différence avec un défilé de figures felliniennes vaguement vêtues de trois bouts de tissu. C’est drôle, gai, effroyable, intelligent et astucieux.

 

Malgré quelque longueur à la fin, « En une nuit, notes pour un spectacle » est, à l’aune de notre monde devenu pire encore que celui que Pasolini prévoyait, d’une impérieuse nécessité. C’est une vulgarisation de très haut vol et qui donne envie de revisiter l’auteur et le cinéaste. La pièce a été doublement primée lors du festival Impatience 2023. C’est amplement mérité.

 

 

Catherine Wolff

 

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