Le procès de Jeanne
06 févr. 2025Un spectacle produit par les Bouffes du Nord (75) et vu aux Bouffes du Nord le 5 février 2025.
Conception : Judith Chemla et Yves Beaunesne
Mise en scène : Yves Beaunesne
Musique : Camille Rocailleux
Livret : Marion Bernède
Scénographie : Damien Caille-Perret
Vidéo : Pierre Nouvel
Lumière : César Godefroy
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Comédienne : Jeanne Chemla
Musiciens : Mathieu Ben-Hassen, Emma Gergely, Robinson Julien-Laferrière, Etienne Manchon, Marie Salvat, Hippolyte de Villèle
A l’image : Jacques Bonnaffé, Thierry Bosc, Jean-Claude Drouot, Patrick Descamps, Jean-Christophe Quenon, Léonard Berthet-Rivière, Michel Vanderlinden, Eric Pucheu, Antoine Laudet, Frédéric Cuif, Eliot Berger.
Genre : Théâtre musical
Public : adulte
Durée : 1H20
C’est dans la mémorable « Traviata » de la saison passée que j’ai découvert l’immense talent de Judith Chemla. Depuis, je n’ai de cesse de la revoir sur scène, jouer et chanter. Elle se produit de nouveau aux Bouffes du Nord dans « le procès de Jeanne » qu’elle a conçu avec Yves Beaunesne. Je me suis précipitée et j’ai bien fait.
Comme d’aucuns, j’ai bien du mal avec la figure de Jeanne d’Arc, récupérée par les nationalistes de tout poil. Le projet de Judith Chemla et d’Yves Beaunesne est évidemment tout autre. À travers la destinée de ce personnage emblématique, il s’agit de dénoncer, une société patriarcale qui, sous couvert de religion, a condamné au bûcher les insoumises à l’ordre établi. Le texte, basé sur les minutes du procès de 1431, met d’emblée hors jeux ceux qui seraient tenté de hurler à l’anathème par pêché d’anachronisme.
La langue du XV° siècle, à peine modernisée, est douce à l’oreille et résonne avec le dispositif scénique, fantastique. Judith Chemla est seule en scène sur un plateau octogonale en bois. Un tabouret, grossièrement dégrossi, en occupe le centre. Un autre octogone lui répond, en hauteur cette fois, sous forme d’écran. C’est la place des juges ecclésiastiques dont celle du tristement célèbre évêque de Beauvais, Cauchon le bien nommé, incarné par Jacques Bonnaffé. Au début de l’interrogatoire, par la composition, la lumière et le faste de leur tenue de prélats, on les dirait sortis tout droit d’un tableau de Zurbaran. Entre la geôle et le tribunal, six musiciens (cor, trombone, clavier, violoncelle, alto et percussions) rythment le dialogue. Il est éprouvant. Il alterne les séances d’interrogatoire et les scènes où la frêle jeune femme, en pantalon et simple pourpoint, se recueille dans sa cellule et chante (en français, italien et latin), comme un rossignol, sur les compositions de Camille Rocailleux et Marion Bernède. À mesure que la pucelle résiste à l’Eglise, c’est-à-dire au pouvoir masculin, et s’obstine à porter des « vêtements d’homme » (sept occurrences) qui la protègent précisément des hommes, notre cénacle gérontocratique se fait de plus en plus menaçant par le zoom qu’opère la caméra. À la fin, la contre-plongée enterre déjà Jeanne d’Arc au fond du trou tandis que la bouche de Cauchon, en gros plan, vomit la condamnation. Et les fumigènes d’inonder la scène.
Hormis les chants, le spectacle manque un peu d’émotions. C’est sans doute la contrepartie de cette scénographie diablement efficace et qui rend hommage, à travers l’allégorie de Jeanne d’Arc, à toutes les « sorcières », impunément exterminées sur l’autel du patriarcat.
Catherine Wolff