Les messagères
13 avr. 2025Un spectacle produit par le Théâtre National Populaire de Villeurbanne (69) et vu au Théâtre des Bouffes du Nord le 12 avril 2025.
Texte : D’après l’Antigone de Sophocle
Mise en scène : Jean Bellorini
Collaboration artistique : Hélène Patarot, Mina Rahnamei, Naim Karimi
Comédiennes : Hussnia Ahmadi, Freshta Akbari, Atifa Azizpor, Sediqa Hussaini, Shakila Ibrahimi, Shegofa Ibrahimi, Marzia Jafari, Tahera Jafari, Sohila Sakhizada
Lumières : Jean Bellorini
Confection costumes : ateliers du TNP
Genre: Théâtre
Public : Spectacle adulte
Durée : 1h45
J’adore le travail de Jean Bellorini et ne manque aucune occasion de le voir. Cela faisait longtemps. Le spectacle « Les messagères » n’est pas nécessairement représentatif de son travail, et pour cause, mais c’est un projet magnifique.
« Les messagères », ce sont ces neuf jeunes comédiennes afghanes, membres de l’Afghan Girls Theater Group, qui ont trouvé refuge en France grâce au soutien de Joris Mathieu (CDN de Lyon) et de Jean Bellorini (CDN de Villeurbanne). « Les messagères », c’est ce collectif qui, sous la direction de Jean Bellorini, interprète « l’Antigone » de Sophocle, en dari surtitré. « Les messagères », ce sont celles qui, pour faire le lien entre ce texte antique et la vie des femmes afghanes, lui adjoignent deux oeuvres bouleversantes : en incipit, « Antigone peut-être » de Martine Delerm et en final, un texte d’Atifa Azispor, comédienne de l’Afghan Girls Theater Group.
La scénographie est visuellement sidérante. L’écrin si particulier des bouffes du Nord, entre murs orangés décatis et ouvertures en arcs cintrés, est magnifié par un plateau recouvert d’eau et un jeu de lumières subtile qui alternent plein feux et ambiances lunaires. La lune, justement. L’astre est là en une forme oblongue qui descend des cintres et se mue en pierre. La lune faite pierre incarne alors la grotte dans laquelle Antigone est enterrée vivante par son oncle Créon pour avoir transgressé l’édit qui lui interdisait d’accomplir le rituel mortuaire pour son frère Polynice.
Dans ce décor qui convoque aussi bien l’antiquité que l’orient, nos neufs comédiennes dansent, s’éclaboussent et portent la voix, sonorisée, de la tragédie. Tandis que le théâtre antique, tout comme l’Afghanistan contemporaine, interdisait la scène aux femmes, elles endossent tous les rôles, masculins compris. Le travail des costumes, entre robes évasées (dont trois évoquent par leur couleur la Palestine), manteaux royaux et tenue militaire, accompagnent les actrices dans leur appropriation des personnages. Le pluriel est de mise car la parole circule équitablement entre elles sans qu’Antigone ne soit prépondérante. Si le jeu est parfois un peu naïf, la gravité des corps et des voix nous emporte très loin, dans des temps immémoriaux et universels. Seules réserves, une bande son parfois aussi anachronique que mélodramatique et qui gâche la scène ; une certaine lenteur qui aurait fait espérer quelques coupes supplémentaires dans le texte originel.
« Les messagères » est, par ces temps troublés et intolérants, un spectacle aussi beau qu’essentiel. Nos neuf comédiennes n’incarnent pas seulement Antigone : elles sont, dans leur parcours de vie, neuf Antigone qui ont su dire non et qui nous invitent à le faire.
Catherine Wolff