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Spectacle de la compagnie "Les Fourmis rousses" (34), vu le 6 Février 2014, au Chai du Terral, Montpellier.

 

Texte : Sylvain Levey

Direction artistique : Marielle Baus, Aurélie Turlet

Mise en scène : Marielle Baus

Avec : Aurélie Turlet (Alice), Charo Beltran-Nuñez (la mère), Leonardo Montecchia (le père), Matthieu Beaudin, Didier Lagana.
 

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Genre : théâtre

Public: tout public à partir de 12 ans

Durée : 1h15

Sortie de résidence 2014

Alice, au seuil de l'adolescence, raconte une tranche de sa vie. Alice, c'est son nom "pour le moment"; juste pour traverser la France. Fille d’immigrés, elle suit ses parents partout où le père trouve de petits emplois saisonniers. Les départs se font dans l'enthousiasme et la précipitation. L’ambiance familiale est gaie, mais les tentatives d’enracinement d’Alice sont toujours coupées net par la course folle de ses parents. Lorsqu'un jour la famille trouve sa place, Alice s'appelle alors "Alice" - tout court. La pièce repose sur une alchimie entre deux éléments liés comme chaîne et trame d'un tissu. Le texte et le jeu d'Aurélie Turlet tiennent et structurent l'intrigue, dans laquelle les parents prennent une place de plus en plus importante. Des scènes fortes extérieures au tissu familial ancrent l'héroïne dans la société : une agression d'une grande violence et les premières relations amoureuses. Le résultat est une réussite.

En marchant "dans le sens contraire au sens du vent du matin", Alice suit une diagonale qui longe un écran translucide. Elle pense tout haut, tout en changeant de vêtements. Au-delà de la paroi, on devine la silhouette de la mère qui agace Alice en l'appelant "Ma chérie !". La pièce entière s'annonce dans cette progression en équilibre rythmée par des appels de la mère "à contre-courant". Aurélie Turlet nous fait vibrer avec son personnage solitaire et lucide, mais qui sait aussi rire, plaire et danser. Alice évolue de la petite fille à la jeune fille, traversant des moments d'émotion, de rêve, d'érotisme et de violence. La rencontre amoureuse avec un garçon, Gabin, est superbe de finesse et la scène de violence dans la rue, véritable agression chorégraphiée, est hallucinante de réalisme! Narrative et théâtrale, la  performance de la comédienne m’a tenue en haleine du début à la fin de la pièce.

Au début les personnages des parents font irruption dans le récit d’Alice. Le jeu burlesque et poétique de Charo Beltran et de Leonardo Montecchia donnent un peu l'impression d'images quasi-cinématographiques et c’est très fort. Je vois encore une scène qui concentre un aspect de la vie du trio : Charo rayonnante et Leonardo concentré, entassés dans une extraordinaire voiture (décor léger très expressif), et secouée au milieu des paquets, l’adolescente... qui commente, en narratrice bienveillante. Progressivement, le couple s'incarne un peu plus : dans un tango, dans des chicaneries ou des discussions sur l'école "obligatoire", et toujours avec un humour magnifique. Enfin, le trio se solidarise et les parents écoutent Alice. "Tout droit jusqu'à la dernière goutte d'essence" elle les mènera dans la bonne direction. La conclusion un peu "happy end" rassure et boucle le cycle de la vie avec humour, comme dans un conte. Mais après tout, c'est bien un conte ?

Cette pièce est drôle, triste, tragique et hilarante. J'ai senti tous les comédiens investis dans leurs rôles. Le texte de Sylvain Levey est un vrai plaisir. Poétique, il peut aussi couper dans la chair comme un fil de rasoir. Plein d'humour et de tendresse cachée, il fait exploser des moments de bonheur. Le rire et la danse éclairent la vie de ces personnages, qui suivent la diagonale toute droite d'Alice, au lieu de se briser. La scénographie est créative sans sophistication, souvent symbolique (la diagonale des immigrés), parfois en style BD (la voiture), exploitant au mieux l'usage de tissus et la lumière. Elle intègre des projections vidéo qui organisent l'espace et construisent des décors.

Toute nouvelle création, ce spectacle s'annonce comme une belle réussite. J'en suis sortie émue mais le sourire aux lèvres et de nombreuses questions en tête. Cette pièce pose bien sûr la problématique des enfants d’immigrés avec les difficultés qu’ils rencontrent, tout en abordant aussi les bouleversements de l’enfance à l’adolescence. "Alice pour le moment" pourrait introduire de nombreux débats sur des thèmes d’actualité, y compris comment devenir "Alice définitivement"...  

 

Catherine Polge

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