Borges vs Goya
07 avr. 2014 spectacle de la Compagnie Akté, vu le 5 décembre 2013 à Sortie Ouest, Béziers.
D’après : Rodrigo Garcia
Mise en scène : Arnaud Troalic
Avec : Julien Flament et Arnaud Troalic
Conseil scénographique : Raphaëlle Latini et Pascale Mandonnet
Collaboration artistique : Anne-Sophie Pauchet et Patrick Amar
Dramaturgie : Florence Gamblin
Création vidéo : Vincent Bosc.
Catégorie : Théâtre
Durée : 1h15
Public : à partir de 15 ans
A jardin, enfermé dans sa voiture, agité, tendu, un amoureux de Borges ; tellement amoureux qu'il a assisté jadis à une conférence du maître, au cours de laquelle l'écrivain l'a déçu ; depuis, il ressasse sa rancune, faisant tourner en boucle son passé intellectuel, le confrontant à son présent guère reluisant.
A cour, avachi sur son canapé, hystérique, nerveux, un amoureux de Goya ; il aimerait bien dépenser la petite somme qu'il a amassée à mener ses enfants au Prado voir les toiles du génie ; mais ceux-ci préfèrent Disneyworld ; et il ressasse ses envies de grandeur artistique, faisant tourner en boucle dans sa tête son présent de prolétaire inculte.
Le lien entre les deux : Rodrigo Garcia, l'auteur le plus punk du moment, qui nous donne une nouvelle fois avec ces deux textes courts un aperçu de son univers entre Mickey et Schopenhauer. Il est question en vrac, dans ce spectacle éprouvant et provocateur, de Culture, de culture, de philosophie, de sodomie, de chanson populaire, de canapé en cuir, de capitalisme, de Mickey Mouse, de slip kangourou et de dépression. Il va surtout être question de deux hommes d'aujourd'hui, rêvant d'intelligence mais se heurtant aux contingences de la société marchande et consommatrice, et noyant leur chagrin dans des cris, des danses frénétiques et des injures à la face du public.
J'aime ce théâtre engagé, frontal, cachant sous les potacheries de mise en scène la profonde tristesse de qui est né au mauvais endroit, au bas de l'échelle sociale.
La langue de Garcia, expressive et directe, est superbement mise en scène par Arnaud Troalic, qui la fait écouter aussi bien en espagnol qu'en français, et qui surtout a compris qu'elle se lance en direction du public comme une arme dévastatrice, comme un instrument pour déclencher le malaise autant que la réflexion.
Le public est tour à tour hilare, choqué, géné, dubitatif, charmé, ennuyé, bousculé par ces mots qui préfèrent questionner plutôt que de donner des leçons.
C'est ça, Garcia : toutes les émotions du monde y passent, les bonnes comme les mauvaises. Arnaud Troalic l'a compris, qui utilise la kitscherie autant que la grande culture dans son esthétique et tout autant les influences de Godard que celles du punk.
Si le spectacle est parfois en dents de scie, c'est parce qu'il accepte les moments de creux, qu'il accepte d'être parfois déplaisant ou facile. Si le public entre dans ce jeu, s'il accepte de ne pas tout comprendre, s'il aime le théâtre qui ne se laisse pas attraper aussi facilement, il passera un moment unique et parfait à regarder "Borges vs Goya".
A retrouver très vite au Théâtre des 13 vents, donc, le sulfureux metteur en scène hispano-argentin ayant tout récemment succédé à Jean-Marie Besset pour diriger le Théâtre des 13 vents, Centre Dramatique de Montpellier.
Danielle Krupa - Allez Zou !