Camus oriental
27 janv. 2014 Spectacle vu au Carré Rondelet, Montpellier, le 7 Novembre 2013, 19h. Avec des textes extraits de « Le premier homme », « Noces », « l’Eté ». Idée et adaptation d’Avner Camus Perez : projet de la Compagnie du Visage (association CaboMundo, 34).
Textes dits par : Carole Ventura, avec Olivier Morin, Avner C.Perez, Cécile Atlan
Musique : Mohamed Zeftari (oud) et Pierre-Luc Bensoussan (percussions orientales), de l’ensemble Naguila
Danse : Cécile Atlan
Eclairages : Gérald Farrow
Durée : environ 1h20
Genre : lecture théâtralisée et musique
Public : tous à partir de 12 ans
Sortie de création
Le jour-même du centenaire d’Albert Camus la compagnie du Visage propose un nouveau spectacle autour de textes où l’auteur parle de l’Algérie, pays de ses parents et de sa jeunesse. Avner Camus Perez a réuni des artistes qui, non seulement viennent d’horizons multiples, mais ont eux-mêmes une pratique diversifiée de leur art. Dans un Carré Rondelet bondé (une bonne cinquantaine de spectateurs), les deux musiciens nous accueillent. En fond de scène une photo de Camus au regard vif m'interroge. Et voilà qu’en mots et en musique, le spectacle m'emmène chez un Camus que je peux qualifier d’« oriental », selon les approches « occidentales » de la culture des rives africaines de la Méditerranée.
La langue de l’auteur, à la fois simple et poétique, croise la musique et la danse. Grâce aux rythmes et mélodies superbes de l’oud et des percussions orientales, je jette l’ancre de l’autre côté de la Méditerranée. Lorsque les bras, les cheveux, le ventre et le long voile de Cécile Atlan ondulent, c’est l’Algérie qui m’invite. Des photos projetées en fond de scène accompagnent certaines évocations. Chaque comédien dit des textes colorés, odorants, sensuels, tendres ou tragiques, que Carole Ventura ponctue d’émouvants extraits du « Premier homme ». Camus y parle d’un enfant à la recherche de son père mort, de la misère qui « prive sa mère d’espoir », de « la tendresse désespérée » de sa grand-mère qui laisse l’instituteur lancer l’enfant vers son destin. D’autres textes disent aussi la soif de vivre, le soleil, la chaleur, la mer, la mort, une vie « à goût de pierre chaude », la fraternité dans le quotidien, le plaisir simple de la citronnade glacée. Le code de la rue, les plages d’Oran, les silences d’Alger, la paix des cimetières arabes, la générosité et l’hospitalité des Algériens, tout dans ce spectacle confirme qu’il y a, comme l'écrit Camus, "des peuples nés pour l’orgueil et la vie".
La mise en scène associe toutes les interventions harmonieusement et sur un rythme soutenu. C’est presque magique de voir tout ce que musique, mots et danse peuvent exprimer ici. Claire et sensible, Carole Ventura déroule les extraits du « Premier homme » comme un fil conducteur parmi les adultes qui ont aidé Camus à grandir. Avner C.Perez et Olivier Morin m'ont fait sentir le vent, le soleil, la plage. Avner C. Perez me montre Oran, « figée dans une gangue pierreuse », et avec Olivier Morin j'ai assisté au match Oran-Alger, en éternelle rivalité. Mohamed Zeftari et Pierre-Luc Bensoussan m'ont emmenée dans la Casbah en exprimant toutes les sensations que je devine chez Camus. La musique occupe ici une place importante dans la narration et lorsque s’élève le chant magnifique de Zeftari accompagnant un texte sur la guerre de 14, je ressens une forte émotion. En regardant Cécile Atlan j’ai vu l’Algérie danser. Les éclairages ne sont pas en reste pour donner tout leur relief aux émotions que j'ai éprouvées.
Séduite par les nombreuses qualités de ce spectacle original, j’ai aussi réalisé combien son enfance en Algérie a inscrit Camus dans sa dimension d’adulte humaniste, amoureux de la vie et épris de justice. J'ai trouvé le style lyrique (à la fois efficace et poétique) des textes choisis remarquablement transmis par les comédiens qui m'ont fait découvrir un aspect méconnu de l’auteur. Selon moi, ce spectacle original peut être une excellente introduction à l’œuvre de Camus, tout comme il peut plaire aux initiés et enchanter les amoureux de l’Algérie. Riche de résonances artistiques et poétiques, il s’adresse à tout amateur de spectacles généreux.
Autre spectacle commenté de la Cie du Visage : Hannah Arendt : exil atlantique