Ces gens-là
26 juil. 2014Lili Label Compagnie (63), Avignon Off, L'Entrepôt, 24 Juillet 2014, 10h.
Conception et mise en scène: Françoise Glière
Jeu et manipulaion: Claudia Urrutia, Fabrice Roumier
Scénographie: Françoise Glière, Violette Graveline
Lumières: Catherine Reverseau
Genre: Théâtre, objets, marionnettes
Public: tous à partir de 8 ans
Durée: 1h10
Création: fin 2013
Lauréat du prix Tournesol du festival off 2014, catégorie saltimbanques
Qui sont ces gens-là ? un homme et une femme arrêtent leur carriole sur un terrain abandonné, déballent des objets quotidiens et construisent un abri. Leur langue est inconnue, mais Léna et Didjo leurs deux jeunes enfants parlent français. Pendant que les adultes, avec une complicité amoureuse, aménagent un confort sommaire, les enfants jouent, font des bêtises et se font gronder. Ce sont des scènes de la vie ordinaire... sauf que le bruit du périphérique au-dessus est parfois assourdissant... sauf que le père a faim, de cette faim qui vous fait chercher un moindre croûton et le refuser à votre femme... sauf que la police les contrôle avec brutalité en pleine nuit et revient saccager leur installation dans la violence et les cris. Alors ils remballent et repartent, dans une magnifique scène onirique. Qui sont ces gens-là ? Des étrangers, des immigrés sans toit.
D'emblée les deux comédiens surprennent. Ils parlent une langue inconnue, qu'ils ont complètement inventée et qu'ils rendent étonnamment compréhensible grâce aux intonations et aux gestes: magnifique communication au-delà des langages. Voici qu'une fois le campement installé, les enfants apparaissent derrière la carriole, marionnettes toutes simples, faites d'un coussin carré de couleur neutre, avec mains, pieds et tête. Leurs yeux pétillent. Claudia et Fabrice impriment aux figurines de véritables attitudes d'enfants qui jouent, se battent, se font des confidences, questionnent les adultes. Ce spectacle est truffé de moments magiques, comme lorsqu'après un brutal contrôle d'identité les parents ereintés s'assoupissent. Alors, nichés dans leurs bras Lena et Didjo redressent la tête et chuchotent de terribles secrets, avec la crudité naïve de leur âge ! En quelques touches sensibles, Françoise Glière exprime le déchirement de ces enfants précocément immergés dans la violence faite à leurs parents. Comme beaucoup d'enfants d'immigrés, Léna et Didjo parlent deux langues, circulent entre deux cultures. Ils sont terriblement crédibles.
La scénographie évoque durement l'extrême pauvreté et l'errance, mais permet à une poésie du quotidien de rendre la vie supportable et même belle. De quelques objets disparates les enfants font un jouet, tout comme leurs parents ré-inventent gaiement leur intimité avec des matériaux de bric et de broc. Une journée "normale" peut suivre son cours, avec ses rituels et ses cérémonials. Une ambiance chaleureuse émerge alors dans des éclairages souvent nocturnes. La sonorisation exprime ici plus qu'un accompagnement. Elle est chargée de sens, comme lorsque l'extrême violence de la destruction du campement fait écho aux bombardements qui ont chassé ce couple de leur pays. Ces "étranges étrangers" nous deviennent proches. Ils essaient de vivre, c'est tout. Subtil, le jeu des comédiens et de leurs marionnettes m'a prise dans leur filet : comment maintenant détourner le regard de ces gens-là ?
Ce spectacle, superbe à tous points de vue, débarrasse le regard des scories de la peur de la différence, qui conduit trop souvent au rejet et à la violence. Il est accessible à tous les publics et ne peut qu'être conseillé fortement. La légèreté de sa scénographie lui permet de s'adapter a une diversité de lieux d'accueil.
Catherine Polge