Comment Pantagruel rompit les Andouilles aux "genoulx" / titre provisoire
25 avr. 2014Spectacle de la Cie "Anonima Teatro" (34), vu le 24 Avril 2014 à 19h, à Lieuran-Cabrières (34).
D'après: Rabelais,"Quart Livre", chap. 35 et 41 (1552)
Création: Jacopo Faravelli, Loïc Thomas , Léa Ros
Jeu: Jacopo Faravelli (manipulation), Loïc Thomas (lecture), Steve Arcade (cuisine)
Création volumes : Solange Nourigat.
Genre : théâtre de rue, "barbecue philologique"
Public : tous à partir de 7 ans
Durée : 50 mn
Sortie de chantier à mi-parcours
Après une résidence de 10 jours à Lieuran-Cabrières, Anonima Teatro présente la "première pression" de cette pièce réalisée en partenariat avec le Théâtre intercommunal de Clermont-l’Hérault. Dans la cour de l’école, assises en frontal sur deux rangs, 80 personnes de tous âges dont une trentaine d’enfants. Le public est très bien accueilli dans une ambiance sympathique. Devant nous un barbecue, une table, un transat, quelques tableaux en reliefs sont accrochés.
L’histoire est celle d’une grande bataille, prétexte pour Rabelais à ironiser sur de nombreux travers de son époque. Pantagruel et ses amis débarquent sur l’Ile Farouche et dressent aussitôt les tréteaux pour préparer un festin. Mais, attaqués par les "Andouilles", ils livrent bataille, cuisiniers en tête, tous armés de leurs ustensiles. Tels des soldats dans le cheval de Troie, ils finissent par s’entasser dans une gigantesque truie et, pénétrant chez les ennemis, ils les taillent en pièces!
Bien que le texte soit en "moyen français" (XVIe siècle), l'adaptation et l'action conjointes des deux comédiens le rendent compréhensible. En lisant (ou disant) Rabelais, Loïc Thomas donne du relief à l’inventivité verbale foisonnante de l'auteur. Jeux de mots, langue verte, paillardise, accumulations de mots, etc. prennent une force étonnante grâce aux variations de débit et de ton du comédien, épousant le rythme des scènes. En accord avec le texte, Jacopo Faravelli anime cette aventure burlesque avec une vivacité et une précision évocatrices. Introduisant souvent une distance humoristique, il donne de la dimension à son jeu. Il joue tous les personnages en manipulant un nombre incalculable d'objets : un ours géant, des andouilles en marionnettes à tige, des ustensiles de cuisine les plus variés, de surprenants tableaux en relief, etc. Pendant ce temps le cuisinier mitonne nos grillades en chatouillant nos papilles et intervient ponctuellement avec humour. La gigantesque bataille finale est matée par un cochon volant, belle prouesse technique et esthétique, et une dégustation de saucisses grillées conclut cette épopée.
Le public éclate souvent de rire car tout est chargé d'un fort potentiel comique: l'inventivité scénographique, les nombreux effets de surprise, la rapidité de manipulation, le contraste entre la banalité prosaïque de certains objets et leurs "personnages", et le langage imagé et truculent. J'ai apprécié que ce spectacle ne se réduise pas à l'aspect "rabelaisien" bien connu et souvent réducteur. L'adaptation, la mise en scène et le jeu traduisent la culture de Rabelais, homme du XVIe siècle, et la verve avec laquelle il parodiait les problèmes de son temps. Ainsi les affrontements entre "Papefigues" et "Papimanes" autour du rôle de la papauté campent bien la sottise, la crédulité et l'obscurantisme. Rabelais est joué ici tout autant en grand comique qu'en grand auteur.
Cette sortie à mi-parcours est déjà un succès. Si quelques articulations en cours de spectacle, et surtout les dernières scènes, sont encore à mettre au point, l'ensemble promet d'être, une fois achevé et en costumes, une belle réussite. Avec une sortie annoncée en principe pour fin Août, ce Pantagruel pourra faire rire tous les publics, et ouvrir d'intéressantes discussions autour de Rabelais, de son époque et de l'évolution de la langue française. La forme est adaptable à tous types d'extérieurs comme à l'intérieur.
Catherine Polge