De L'usage des bottines
03 sept. 2013Spectacle de la compagnie Amarante (30) et de la compagnie Yvonne Septante (23), vu le 22 Juillet 2013 au Nautilus (Palavas - 34)
Création et mise en scène collectives
Interprétation : Colinda Ferraud, Mélène Gibert, Juliette Lapeyre, Céline Mellier
Création musicale et adaptation : Frans Middelkoop, Bénédicte Derasse, Julio de Gouvenain
Textes des chansons : créations collectives et 4 reprises (Franca Rame, Virginie Despentes, Grisélidis Réal)
Aide à la chorégraphie : Séverine Gracia
Créations lumières : Thomas de Givry
Création décor : Bruno Vignon
Costumes : Cerise Meulenyzer, Juliette Lapeyre, Fanny Boix
Genre : cabaret tout-terrain
Public : adultes et adolescents à partir de 14 ans
Durée : 1h30 environ
Création Juillet 2011
Dans l'esprit d'un théâtre populaire, et avec une exigence de qualité, c'est la première fois que les des deux compagnies collaborent. Les quatre comédiennes, formées à l'école Lassaad (Bruxelles), ont une pratique du corps en mouvement à travers des techniques variées. Hélas, trop peu de spectateurs sont présents ce soir-là. Il faut dire que la salle, très belle et bien fléchée, est cachée derrière un immeuble. Dommage qu'aucun affichage accrocheur n'informe les touristes en front de mer !
Ambiance cabaret 1930 (paravent, bar, canapé "de style", coiffeuse...). Je suis tout d'abord frappée par le mélange des genres, avec un côté décalé dans les costumes et les maquillages : bottines, bas résille, justaucorps décolletés, shorts de couleurs (assez éteintes), bretelles masculines. Rien n'est flashy, ni lumineux. Les yeux charbonnés, sans faux-cils, ni fards, ni rouge à lèvres, elles parlent sans affectation. Ces femmes ne seraient donc pas juste de charmants êtres décoratifs ?
Freddie, Rose, Jojo et Billie se présentent, et je dresse l'oreille : "Elle mange, elle bouffe, etc." bref, l'une d'elles a toujours faim. Rose, elle, aime boire. Prostituée de métier, elle nous explique comment elle vit son activité. Jojo, quant à elle, a découvert l'auto-érotisme le jour de sa première communion "grâce" au puritanisme d'une religieuse. Puis Billie nous pose "les questions qui tuent" sur les métiers "pour femmes", sur le rose, le bleu et autres stéréotypes. Et voilà qu'au fil des paroles plaisir, masturbation, frigidité, simulation, orgasme, vaginite, clitoris, sont nommés. Je jette des coups d'oeil vers mes voisin(e)s... après un premier vacillement, le public est scotché. Quant à moi, d'abord interloquée, je constate que le jeu talentueux des comédiennes efface la honte et le mépris qui nourrissent trop souvent grivoiserie ou vulgarité lorsque l'on parle du sexe féminin. Je situe ce spectacle dans la lignée des textes des "Monologues du vagin" et "Appeler une chatte". Elles chantent, elles parlent fort ou bas, elles bougent, elles dansent, elles expriment leurs étonnements, leurs interrogations, leurs protestations, leurs révoltes aussi, avec un émouvant poème sur le viol et la honte. Ne pas nommer les choses, ça crée tant de problèmes... mais l'humour arrive toujours à point nommé : "Mange ta salade fruits, ou j'appelle l'orgasme !".
Ce spectacle offre une grande diversité de tons : comique franc (mais jamais gratuit) comme cette invocation du poil et de la moustache, facétie plus subtile avec une histoire de doigts aventureux, séduction et déshabillage en belles ombres chinoises, ode aux amours adolescentes... Un discours décoiffant de Rose pose la question du bonheur (de quel côté du trottoir se situe-t-il ?) et s'achève dans un vrai délire ! Elles jouent même épisodiquement, et toujours avec à-propos, les scènes successives d'un film muet. Une partie supérieure du paravent est rabattue, découpant ainsi un grand cadre. Derrière, deux comédiennes apparaissent à mi-corps et interprètent (comme à l'écran) la rencontre, la séduction, la vie de parents et le vieillissement du couple. Désirs, disputes et réconciliations. Clin d'œil aux relations cinéma-théâtre, une troisième comédienne échange divers objets avec le couple "à travers l'écran". Gestes et mimiques surjoués, paroles muettes et teintes en blanc/noir/gris me transportent aux débuts du cinéma. C'est jubilatoire ! Enfin, un intermède où toutes quatre nous servent "au fauteuil" une délicieuse salade de fruits permet de papoter en se rafraîchissant.
La musique créée pour le spectacle est impeccable, et les chansons (pour la plupart composées collectivement) montrent un bel usage des mots. J'ai beaucoup apprécié la chorégraphie des comédiennes, très travaillée, qui leur permet de jouer toutes les émotions en donnant constamment une impression de spontanéité. L'ensemble, ajouté à la justesse des propos, met en lumière le sexe féminin et les complications liées au seul fait d'être une femme. Les hommes sont interpellés, mais pas critiqués dans leur virilité. Par contre, l'intérêt des études de genres pour l'éducation à l'égalité saute aux yeux, loin des conflits idéologiques. Je me suis prise à rêver que le féminisme n'ait plus d'objet, et ceci grâce à une éducation à la connaissance et au respect de soi et de l'autre...
Un très beau spectacle à proposer, pour faire rire et réfléchir tout en bousculant très habilement les spectateurs. Pudibond(e)s ou non, hommes et femmes, jeunes ou moins jeunes et surtout, adolescent(e)s, n'hésitez pas à aller applaudir cet "usage des bottines" qui provoque de bonnes discussions ! Pour information, ce spectacle peut aussi se jouer sous une yourte.