Elise-copie-1.jpgCompagnie Ginkgo Biloba Théâtre (93), Avignon off, Bourse du Travail CGT, 23 Juil. 2014, 16h

D'après le roman de Claire Etcherelli (1967)


Adaptation, scénographie, mise en scène et jeu: Eva Castro

Collaboration artistique: Carole Leblanc Philippe Renault
Décor, costume:  Valérie Valéro
Lumière: Jean-Marc Oberti

Musique: Fanny Rome   

 

VIVANT-3-COEURS-5Genre: théâtre

Durée: 1h05

Public: à partir de 12 ans

Jauge maxi: 250 à 300 selon acoustique

Création : fin 2013

 

Ginkgo Biloba est une toute nouvelle compagnie dont voici le premier spectacle.

Elise (Eva Castro) raconte comment en 1958, en pleine guerre d'Algérie, elle a passé quelques temps à Paris pour y retrouver son frère. Jeune fille discrète, elle fait partie des "provinciaux isolés, pauvres, gauches". Mais au lieu de la vie parisienne imaginée c'est une série de chocs qui l'attendent. Recrutée en usine elle découvre la mécanisation des corps des ouvriers, l'épuisement, l'injustice envers les femmes, la cohue des transports et les inégalités criantes. Non seulement le racisme ambiant et les ratonnades la bouleversent, mais amoureuse d'un ouvrier algérien, elle vit  les descentes de police, les humiliations, le chagrin. Cette femme lucide et courageuse rentrera chez elle marquée mais non détruite, car l'espérance est toujours là.

Eva Castro, comédienne confirmée, ici seule en scène, est excellente. Sa voix et sa gestuelle donnent une forte présence à Elise qui parle à la première personne, prenant occasionnellement les inflexions d'autres personnages. La voici d'abord gauche dans son manteau de provinciale, sa valise à la main. Puis elle suit le rythme imposé par le travail à la chaîne avec une pantomime sans pauses ni respirations qui m'a fascinée. Avec des gestes précis comme une mécanique, Eva avance vivement, lève un bras, puis l'autre, le replie, tourne, recule, se baisse, visse, tapote, s'écarte et recommence, toujours plus vite, "pour la production", dans une danse déshumanisée. Mais avec son amoureux, quel abandon, quelle grâce empreinte de plaisir : c'est un autre corps, qui vibre et vit enfin ! Par petites touches d'abord, par ce mot "ratonnade" qu'elle ne comprend pas, la guerre d'Algérie s'installe dans la vie d'Elise et impose rapidement tous les degrés de violence. Dans une terrible scène de perquisition, hallucinante de vérité, Elise reçoit en pleine face le mépris des policiers et vit douloureusement l'humiliation subie par son compagnon. Eva Castro a adapté ce roman en construisant un fil narratif très tendu, parfois tranchant dans sa dureté. C'est celui de la violence et du cynisme de la société, de la haine, du racisme le plus grossier, et de la guerre enfin. Et sur ce fil chemine Elise, personnage d'une grande finesse qui observe, questionne et lutte avec une force surprenante, avant de repartir sans pour autant s'effacer, car dit-elle, "sous les cendres de la douleur l'homme vit d'espérance". Dans un décor sobre fait de quelques empilements de cartons, un monde vit, rythmé par des éclairages qui donnent du relief aux émotions. D'excellent bruitages, tels que les sons stridents et métalliques de l'usine, s'ajoutent à des accompagnements musicaux très bien vus. Une réussite totale.

La poésie et l'intelligence de ce spectacle sauvent de l'oubli des informations précieuses sur ce que fut Paris lorsque circulaient des slogans racistes anti-algériens et que nombre de brutalités se soldaient par des disparitions. Mais au-delà, c'est une alerte pour les jeunes générations afin de faire surgir les non-dits et qu'enfin les leçons de l'histoire portent leurs fruits. Bien qu'il soit par moments très dur, ce spectacle n'est pas sombre grâce à la générosité dont Elise fait preuve en cherchant "la vraie vie". A recommander à tous publics.

La compagnie propose des représentations dans les collèges et lycées. Le spectacle se joue aussi en appartements et maisons de quartiers.

 

Catherine Polge

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