L'Arrache-coeurSpectacle de l'Arthur Théâtre (34), théâtre Pierre Tabard, Montpellier (34) le 19 Fév. 2014, 20h30.


A partir du texte intégral de "L'Arrache-coeur" (Boris Vian, 1953)

Adaptation, mise en scène et interprétation : Carole Ventura

Oeil extérieur : Luca Franceschi

Costumes : Caroline Deleens. 

  

vivant-3-toiles-4Genre: monologue théâtralisé

Durée: 1h15

Public: à partir de 15 ans

Création 2009 en Chine

 

 

Fondé en 2009 par Carole Ventura à Pékin, l'Arthur Théâtre est à Montpellier depuis 2013. Carole Ventura, familière de l’œuvre de Boris Vian, a adapté "L’Ecume des jours" et créé "Histoire de Vian" et "Vian Jazz et Blues".


L'intrigue : Près d’un village dont les habitants ont d'étranges mœurs, la maison d'Angel et Clémentine, entourée d’un jardin, est perchée sur une falaise d'où elle domine la mer. Clémentine, assistée du psychiatre Jacquemort, accouche de "trumeaux" (2 jumeaux et un 3ème). Traumatisée par les douleurs et accablée par cette triple maternité, elle renonce à toute vie sexuelle, décide que ces petits n’appartiennent qu’à elle et chasse Angel, leur père. Seul Jacquemort est toléré par Clémentine qui se torture jour et nuit en imaginant les effroyables dangers qui menacent ses enfants. Alors que les "trumeaux" essaient d’échapper à l’emprise de leur mère dans des jeux risqués, celle-ci cherche par tous les moyens à les protéger. Finalement, au paroxysme de l’angoisse, Clémentine les mettra en cage. Le roman de Vian, d'inspiration autobiographique, est très noir et ne manque pas d’annotations cruelles.

 

Du texte original, Carole Ventura a sélectionné une majorité de dialogues de la mère, évitant ainsi toute dispersion. La trame narrative est centrée sur la montée en puissance et la violence de l’angoisse de Clémentine et sur l'appétit de vivre de ses enfants. Les anecdotes un peu barbares du roman sont laissées de côté. Le découpage donne un rythme très soutenu tout en transmettant la poésie, l'onirisme, la cocasserie et l'humour incisif de Vian. C’est réussi.

 

Seule en scène, Carole Ventura, avec une diction magnifique, joue Clémentine, les 3 enfants et même Jacquemort. Clémentine apparaît comme une femme épuisée, littéralement "vidée" mais en colère, se sentant incomprise dans ses blessures de l'accouchement. Elle s'en prend à "l’homme", Angel. Il se matérialise sur le plateau par une lumière hésitante qui s’efface ensuite dans les coulisses : c’est excellent. Une fois le père chassé, Clémentine est livrée à son imaginaire, et craint les pires horreurs pour ses fils. Agitée frénétiquement par une inquiétude subite, elle se crispe ou sourit pour essayer de se rassurer. Mais, poussée par un besoin irrépressible de contrôle, elle se lance toujours à la recherche des enfants. Bref, elle n’est jamais en paix. Le jeu de la comédienne est fascinant et m’a fait vivre tous les sursauts du débat intérieur de Clémentine. La voix, les mimiques, le regard, la gestuelle, le corps entier de Carole Ventura donnent vie à ce personnage dramatique. Son incarnation des enfants qui jouent le soir en cachette dans le jardin est surprenante et lumineuse. L’une après l’autre leurs têtes blondes un peu hirsutes apparaissent en haut d’un mur. Echappant à leur mère ils s’échangent des secrets et apprennent à voler. Carole Ventura leur prête des regards et des voix pleines d’une vérité émouvante. Il y a ainsi, hors de la présence de la mère, quelques moments de paix dans cette pièce à l’atmosphère tourmentée. La nature, la mer, le ciel et les oiseaux, qui pour Clémentine sont sources de dangers à contrôler, ouvrent malgré elle de merveilleux horizons.

 

La mise en scène qui s’adresse directement à l’imagination du spectateur a réussi à me transmettre les éléments oniriques ou burlesques du texte, autant que sa violence et ses moments de grâce. Scénographie et  décor jouent sur l’évocation plus que sur la représentation. Ainsi, 3 petits berceaux dorés sont accrochés au fond et un écran translucide permet les retours de Carole Ventura dans le personnage de Clémentine. Une petite estrade suffit à nous faire imaginer la servante appelée par Clémentine. Un simple chapeau et voilà Jacquemort. Et en final, une jolie cage enrubannée hissée au plafond tourne dans la lumière, aboutissement tragique de ce délire maternel.

 

Tout concourt à la réussite de cette très belle adaptation qui respecte l'auteur : l'excellent jeu de Carole Ventura, la scénographie simple et efficace, l’éclairage expressif et la musique. L'évocation dramatique de la naissance et les terreurs de Clémentine peuvent être éprouvantes pour certaines sensibilités (femmes enceintes, par exemple…), mais les discussions à la sortie montrent que la poésie permet de prendre de la distance avec le propos. De bons débats sur "l'amour maternel" peuvent prolonger la représentation !

 

Autre spectacle de la compagnie commenté sur le blog : lecture théâtralisée dans "L'écume des jours ".

 

Catherine Polge

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