L autre chemin des damesCie Ecart Théâtre (63), Avignon Off, Espace Roseau, 26 Juil. 2014, 10h55

 

D'après Marcelle Capy ( "Des Hommes passèrent", 1930) et des documents d'époque

Création et interprétation : Pascale Siméon, Anne Gaydier, Marielle Coubaillon, Jean-Louis Bettarel

Direction artistique : Pascale Siméon

Musique : Jean-Louis Bettarel (arrangements et piano)
Collaboration : Marc Siemiatycki

 

vivant-3-toiles-4Genre : théâtre et chansons

Public : à partir de 12 ans

Durée : 1h10

Création fin 2013

 

 

Créée en 1995, la compagnie Ecart Théâtre est installée à Clermont-Ferrand.

 

La vie des femmes des villages pendant les quatre années de la Grande Guerre a rarement été évoquée dans la littérature. C'est toute l'originalité de l'ouvrage de Marcelle Capy, journaliste pacifiste et féministe, que de décrire de manière détaillée les difficultés quotidiennes des paysannes et la méconnaissance du courage dont elles ont fait preuve. Les hommes partis en Août 1914 pensaient être de retour pour Noël. C'est donc d'abord dans l'urgence d'une vendange ou d'une récolte à rentrer, que les femmes de la campagne se sont mises au travail des champs. Puis, le temps passant, l'espoir s'est progressivement éteint et les femmes ont appris à faire les plus durs travaux au fil des saisons et ont pris des responsabilités autrefois réservées aux hommes. Les lettres du front se faisaient de plus en plus douloureuses, les pertes étaient très lourdes et certains soldats rentraient gravement diminués. Les mères, les épouses, les fiancées s'endurcissaient et les permissionnaires ne retrouvaient plus leur monde. Une société changeait...

 

Créé collectivement, le spectacle associe des textes de Capy, des lettres de poilus et des chansons. C'est sobre, sans pathos, mais rythmé et chargé d'émotions. Les costumes mélangent les époques et donc les guerres, ce qui donne une terrible universalité au spectacle. Avec ces trois comédiennes, rigoureuses et économes en gestuelles, tout nous atteint: la profondeur des sentiments, l'injustice faite aux femmes "de l'arrière", l'horreur de la guerre sous le masque de la gloire. Maniant de simples gros blocs de bois modulables elles créent une vie scénique, rythmée par les lumières. Se faisant écho ou se rassemblant elles disent ou chantent le courage, les étonnements, les déceptions, la douleur, l'horreur, sur fond de cynisme des gouvernants. Les paroles vont droit au but : je ressens l'épuisement des femmes maniant la charrue, semant, bêchant, j'imagine les transformations de leur aspect physique et j'éprouve l'attente qui les tenaille. Les saisons passent. Des évènements rompent le cycle des travaux :  les "permissions agricoles" qui permettent de repeupler le pays ou provoquent des ruptures, un "train de noirs" qui passe, des prisonniers allemands "bien comme il faut"  qui arrivent pour aider...  Mais ce sont surtout les lettres, attendues et terribles, qui apportent souffrance ou espoir et cimentent la solidarité. Lues par les trois comédiennes debout face au public, elles nous disent avec force les vermines, la boue, le froid, les cadavres, l'abattoir, et aussi les inquiétudes au sujet de la famille, des copains, des travaux agricoles, en résumé la souffrance et la vulnérabilité de ces hommes traités comme chair à canon ... Les obus claquent dans la nuit, des bruits sourds nous environnent. Jean-Louis Bettarel a réalisé de beaux arrangements sonores et musicaux, d'une grande sensibilité. Les chansons choisies, judicieusement "intemporelles", disent toute la sottise et la cruauté de toutes les guerres ; Anne Gaydier et Marielle Coubaillon alternent en solos et duos  "Quand un soldat" (F.Lemarque), "Tu n'en reviendras pas" (Aragon), "La femme du soldat inconnu" (M. Cherfi), "Le Verger de Lorraine" (Barbara). Voix magnifiques, frissons des émotions, tristesse et mélancolie. Le spectacle se termine sur la joie de l'armistice et nous savons que ce n'était pas "la Der des Ders".

 

"Comment expliquer que des gens qui ne se veulent aucun mal puissent s'entretuer ?" demande Marcelle Capy... Si ce magnifique spectacle ne peut répondre à cette question éternelle, il fait toutefois réfléchir au-delà des commémorations et parle de la gloire dédiée à ceux "qui ne sont plus que pour avoir péri" (Ferré). L'ensemble ménage des petites notres humoristiques au milieu des souffrances et dégage une grande poésie. A conseiller autant aux enfants, qu'aux adultes qui ont vécu les guerres eux-mêmes ou par leurs parents, et aux historiens qui découvriront des textes précieux. Cet "autre Chemin des Dames" devrait être très largement diffusé.

Léger et modulable, le spectacle peut être proposé à tous types d'accueil.

 

Catherine Polge

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