L'Ogrelet
05 mai 2014Spectacle de la "Compagnie Provisoire" (34), séance pour scolaires et professionnels, dans le cadre d’"Ourcéanie", le 17 avril 2014, au Théâtre de Villeneuve-lès-Maguelone (34).
Adaptation du livre de Suzanne Lebeau
Jeu : Claude Maurice, Sébastien Portier
Mise en scène : Julien Guill.
Durée : 1h
Genre : théâtre
Jauge : 60/80
Tout public à partir de 8 ans
Dans la grande salle du théâtre, le public est installé en cercle, sur des chaises et des gradins, laissant au centre un espace libre. Pas de décor, la lumière crue des plafonniers, une mise en espace au plus près du public. Martine Combréas, directrice du lieu, annonce en préambule qu’elle accueille une mère et son fils, venus 30 ans après, nous raconter leur histoire…
Un homme jeune, une femme plus âgée, que rien ne différencie du public, installés sur des chaises, prennent la parole. La femme s’adresse à nous, entreprend de nous raconter cet épisode de sa vie, il y a 30 ans, le jour où son fils a quitté la maison pour la première fois, pour aller à l’école. Ce fils qui est physiquement très développé pour ses 6 ans, elle l'a élevé seule dans une maison au cœur de la forêt, le nourrissant de légumes et évitant qu’il soit mis en présence de la couleur rouge... Mais à l’école, bien qu’il soit appliqué, attentif, sa différence et ses comportements finissent par poser problème, jusqu’à ce que la maîtresse décide de l’exclure. Confronté à ses différences, il interpelle sa mère, qui est bien obligée alors de livrer des explications. Il est le fils d’un ogre, que son père a abandonné à la garde de sa mère, pour tout simplement préserver sa vie, après que ses sœurs, nées avant lui, aient disparu chacune leur tour avant d’avoir deux ans. Sa mère voudrait encore et toujours fuir la civilisation et le protéger. Mais Simon, l’ogrelet, refuse la fatalité, décide d’affronter la réalité et de réussir les trois épreuves, que son père n’a pas réussies, et qui doivent le délivrer de son "ogreté".
La mise en scène dépouillée et originale fait la part belle au jeu des comédiens, et permet de mettre en lumière la tendresse et même l’optimisme qui se dégagent de ce texte à priori plutôt sombre. L’utilisation d’objets-témoins accrédite la véracité des dires. Ainsi, Simon fait circuler sous les yeux des spectateurs son (vrai) cahier d’écolier, et chacun peut apprécier la qualité de ses lignes d’écriture. Il mime aussi de manière saisissante les moments où son animalité reprend le dessus, lorsqu’il est confronté au loup par exemple. Le fait que les protagonistes racontent leur histoire, comme dans une réunion entre amis, avec prise à partie des spectateurs, permet une mise à distance de l’écriture. On fait référence au vécu, on ne joue pas, on témoigne. Comme dans un cercle (précisément) familial ou amical, le public est plus que spectateur, il est témoin. Plusieurs thématiques m’ont semblé se dégager: celle de la différence et de la tolérance, celle de l’hérédité et du déterminisme. L’enfant du monstre n’est pas un monstre, même s’il doit se battre pour le prouver. Et, au-delà, comment grandir, s’affranchir de la (sur)protection de la mère, des parents, affronter les difficultés, devenir adulte et autonome?
A l’issue du spectacle, la discussion s’engage avec les scolaires, qui à plusieurs reprises ont demandé s’il s’agissait d’une histoire vraie, et si les comédiens étaient mère et fils. Preuve que l’entrée en matière de Martine Combréas et la mise en scène ont troublé les esprits! Les partis pris de la compagnie paraissent résolument engagés dans une démarche pédagogique: tant dans un cadre scolaire, pour aborder les thèmes cités plus haut ou étudier simplement le jeu de l’acteur, que dans un cadre familial (après une présentation en médiathèque), pour agrémenter une discussion autour de la parentalité, de la tolérance, de l’éducation en général. En outre, la configuration scénique fait que ce spectacle ne peut être proposé qu’en jauge réduite, idéalement une soixantaine de personnes, même si nous étions lors de cette représentation un peu plus nombreux. Ce fut pour ma part une belle réconciliation avec ce texte dont j’avais déjà vu une adaptation qui ne m’avait pas convaincue.
Cathy de Toledo