La Jeune Femme à la licorne
06 avr. 2014Spectacle des compagnies "La Bulle Bleue" (34) et "La Remise" (34), le 29 Janvier 2014, 20h, théâtre d'O (Montpellier-34).
Adaptation libre de "La Ménagerie de verre", de Tennessee Williams (1944).
Mise en scène : Marion Coutarel
Dramaturgie : Laurent Berger
Créé avec et interprété par : Mélaine Blot (le prétendant), Laura Deleaz (Violetta), Mireille Dejean (la mère), Arnaud Gélis (narrateur et Tom), Sarah Lemaire (Nina), Philippe Poll (le père).
Genre : théâtre
Public : à partir de 15 ans
Durée : 1h
Sortie de création
"La Bulle bleue", est un ESAT (Etablissement et Service d'Aide par le Travail) qui permet à des personnes en situation de handicap de se professionnaliser dans les métiers du théâtre. Les spectacles sont actuellement produits sous la direction artistique de Marion Coutarel et en partenariat avec le théâtre de la Remise.
Ce huis-clos de Tennessee Williams met en scène dans le sud des Etats-Unis une femme et ses deux enfants, jeunes adultes. Tous trois vivent dans une ambiance pesante et orageuse traversée par leurs rêves et leurs désirs. Tom le fils, chargé de faire vivre le trio, étouffe. La fille Laura, timide et déclarée fragile, s'absorbe dans sa collection d'animaux en verre, dont le plus précieux est une licorne. La mère, rêvant d'un passé idéalisé et obnubilée par le désir de marier sa fille, la jette un jour étourdiment dans les bras d'un ami de Tom. Piégée par les rêves d'une mère abusive, Laura sort humiliée de ce malentendu et Tom s'en va.
Marion Coutarel s'inspire librement de la pièce de Tennessee Williams, conservant la trame de l'intrigue et l'ambiance étouffante de ce huis-clos axé prioritairement sur la relation entre la mère et la fille (nommée ici Nina). L'adaptation a été réalisée avec la participation des comédiens et en intégrant leurs improvisations. Deux personnages supplémentaires, le père et Violetta une amie de Nina élargissent l'action de manière intéressante.
Le théâtre d'O, 220 places, fait salle pleine pour cette première. Un monologue très émouvant d'Arnaud Gélis ouvre la pièce. Il parle simplement de l'intrusion de la maladie dans une vie et de la place prise par le théâtre. Sans doute nous invite-t-il à partager "la particularité" de la Bulle bleue ? Or cette particularité s'efface derrière le professionnalisme de la compagnie. Avec beaucoup de finesse, les comédiens jouent en équilibre sur des frontières : entre rôles et improvisations, entre dit et non-dit, entre réalité et symbolique. Nina est étouffée par sa mère, mais surprend en déclarant brutalement "je suis une actrice", son amie Violetta nous présente un reflet de l'imaginaire de Nina, le prétendant avance et recule, Tom est déchiré entre sa famille et ses rêves, et le père s'infiltre entre présence et absence. La mère elle-même, stable dans son hypercontrôle anxieux, se perd dans ses illusions. Le spectacle à la fois fascine, émeut et interroge. Ainsi par exemple une conversation entre les deux amies près d'un arbre qui ploie comme Nina, une bagarre familiale drôle mais inquiétante, un flirt basé sur un malentendu cruel, un accouchement réaliste produisant un ballon de baudruche, etc.
La scénographie très étudiée offre un grand intérêt, car chaque personnage évolue dans un espace scénique correspondant à sa place dans la vie et l'imaginaire du groupe. Ainsi la mère occupe une place centrale à la table familiale, sous un grand ventilateur qui tourne sans cesse au plafond et rythme l'ambiance étouffante qu'elle-même provoque. Cette organisation de l'espace symbolise habilement les relations entre les personnages, leur enfermement et quelques échappées. Des parois semi-translucides et des éclairages subtils dégagent une atmosphère trouble de rêve et de vulnérabilité.
L'interprétation, la mise en scène, la dramaturgie et la technique font de cette pièce un spectacle de qualité et d'une grande richesse émotionnelle. Les applaudissements ont été enthousiastes. Les sourires éblouis des comédiens entourés ensuite par la foule des spectateurs m'ont beaucoup émue. A voir la réussite de la première représentation, "La Jeune Femme à la licorne" est promise à un bel avenir.
Catherine Polge