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Spectacle de la compagnie "La Kolima"

vu le lundi 8 juillet 2013 à 16h au théâtre du Chapeau Rouge, dans le cadre du festival d'Avignon

 

Texte : Claude-Henri Buffard

Mise en scène et interprète : Marie-Line Rossetti 

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  Une femme d'intérieur parle à Paul, son mari. Entre bruits de vaisselle rangée ou dérangée, disparitions dans la cuisine d'un air affairé, elle va et vient au rythme de ses réponses à Paul, dont on ne voit que le bas du pantalon et les chaussures qui doivent être propres (elle les nettoie pour qu'elles brillent). On n'entend pas les réponses de Paul, mais elle semble les entendre et y répond. Elle est heureuse : Paul lui propose un voyage. Enfin ! pense-t-elle, dit-elle. Enfin tu as compris que j'étais belle ! Elle est heureuse, sauf qu'elle ne connaît pas la destination du voyage et qu'elle a toutes les peines du monde à la faire avouer par Paul. C'est important, pourtant, car on ne prend pas les mêmes vêtements, ni les mêmes chaussures, suivant qu'on se rend ici ou là !

Pour ce voyage, Paul lui offre une robe rouge... et les choses basculent à ce moment, par un seul geste qui sème le trouble. Une robe jetée, un mensonge face à nous autres, spectateurs, qui n'avons alors plus que deux choix : nous sentir trahis, ou suspecter la femme au mieux d'incohérence, au pire de folie. Peu à peu, le sentiment d'incommunicabilité se mue en tragédie de la solitude.

 Le texte de Claude-Henri Buffard est très sensible, intelligent et percutant. Il a été écrit au début de ce siècle, et traite en grande partie du passage du XXe au XXIe siècle. Il est daté par un détail étrangement choisi : le décès de Jacques Deleuze (en 1995) qui s'est défenestré à 70 ans. Cela jette le trouble (pourquoi cette référence ?), mais ce trouble est latent depuis le début de la pièce : cette femme et sa façon de vivre sont d'un autre siècle, le dernier. Dans sa solitude, elle convoque de nombreux stéréotypes qui n'ont plus cours, ou si peu (en tout cas je l'espère) : elle attend que l'homme l'emmène en voyage, elle attend que ce soit lui qui lui offre la robe rêvée, elle attend qu'il lui réponde, elle est suspendue à chacune de ses réactions qui n'arrivent pas, ce qui lui donne le prétexte de ne pas prendre sa vie en main... Sous couvert d'agitation et d'occupation permanentes, elle est d'une passivité et d'une dépendance très dérangeantes pour nous, femmes du XXIe siècle. On espère qu'elle va enfin comprendre la destination de ce voyage en passant dans le siècle nouveau où elle trouve que rien ne change. Il faudrait que ce soit un devenir d'elle-même. Je vous laisse découvrir si l'auteur nous fait cette joie.

La comédienne Marie-Line Rossetti, seule sur scène dans ce long monologue, a beaucoup de présence et sait mener le spectateur où elle le désire. C'est une jolie performance, toute en finesse. Elle est d'ailleurs à l'initiative de la création de la compagnie, qui travaille dans la recherche de textes contemporains.

Un bon spectacle, en somme, mais dont le texte perd peut-être un peu de sa force au fur et à mesure que nous nous ancrons pour de bon en ce siècle déjà plus si nouveau.

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