Retour du roi2

Spectacle de la compagnie de l'Abreuvoir (63) vu à Lauroux (34) le 9 Juin 2013 à 17h, dans le cadre des Saisons du Lodèvois-Larzac.

 

Texte : Joël Mespoulèdes

Mise en scène : Patrick Peyrat 

Interprétation : Sébastien Saint-Martin, Christophe Luiz

Costumes : Marianne Mangone, Patricia Vernadat

Régie générale et son : Patrick Peyrat

Régie lumières : Pierre Court


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Genre : théâtre forain burlesque

Durée : 45 min

Public : tous à partir de 8 ans

Création 2012

 


La compagnie de l'Abreuvoir, créée en 1998, élabore des spectacles en prise avec le monde qui nous entoure. Ce jour-là, à Lauroux, "le retour du roi" est chassé de la place de l'église par des trombes d'eau et doit se dérouler dans la salle des fêtes. Le roi n'ayant visiblement pas pu contrôler les éléments, nous sommes donc une cinquantaine sur des gradins, face à un petit espace scénique ouvert sur 3 portes.

 

Le roi Agamemnon 1er revient de guerre. Le coryphée, porte-parole du peuple, annonce son arrivée imminente et se voit contraint d'entraîner le peuple mécontent  (le public) à crier sa joie et son enthousiasme... Demi-masque brun, costume brun et bonnet noir, ce petit homme vif s'agite beaucoup pour chauffer la foule et nous le sentons anxieux du résultat. A lui seul ce coryphée traduit l'assujettissement des courtisans. Puis arrive enfin ce roi. Toute son apparence respire la brutalité, la vanité et l’égoïsme : immense, ventre gonflé de sa propre importance, tenue militaire dépenaillée, lourdes bottes, demi-masque noir au fort nez crochu, grosse moustache et sourcils de rapace. Satisfait, dit-il,  de son travail "de boucher" exécuté "avec méthode et savoir-faire". Il a fait son devoir, donc ses sujets doivent être heureux. Mais le coryphée, qui a ressenti "de mauvaises vibrations du côté du peuple", est pourtant bien obligé de se faire l'interprète de quelques critiques... Dans une excellente scène comique il déroule timidement une longue litanie de  "Y-en a qui disent ..." et, du tac au tac, le roi évacue les problèmes les uns après les autres :

- Coryphée : « opposition » /  Roi : « connais pas »

- Coryphée : « la presse » / Roi : « j’aime beaucoup », etc. etc.

Instrument d'oppression, le coryphée n'oublie pas qu'il est du peuple. Ces revendications, il pourrait les faire siennes ! Aussi suggère-t-il timidement "le changement c'est pour aujourd'hui" mais, aussitôt menacé, il s'écrase. Alors, le roi et le coryphée vont immortaliser leur connivence à la façon de "La Création" de Michel-Ange, leurs deux index se touchant avec grâce... La pièce s'achève d'ailleurs dans une discussion très drôle et inattendue entre les deux comparses.

 

Nombreuses sont les allusions aux comportements "monarchiques" de la présidence de Sarkozy. Mais le turn-over des élections aidant, son successeur en prend aussi pour son grade ! Slogans politiques simplificateurs, phrases lapidaires, raccourcis mensongers déboulent tout au long de la pièce. C'est extrêmement drôle et bien amené. Les références fusent dans des dialogues de qualité. Cependant, la couleur brune des costumes m'a renvoyée à des scénarios redoutables, ceux-là même dont l'ampleur a bouleversé l'histoire européenne et qui sont toujours une menace rampante. Au-delà de la satire, j'ai donc vu cette pièce comme une alerte. Le duo roi-coryphée met en scène les mécanismes qui se jouent dans la jouissance du pouvoir, et dans ses dérives liées à l'aveuglement  et à la mégalomanie. L'autosatisfaction est tellement bien intériorisée chez le roi qu'elle m'a semblé par moments rejaillir sur le coryphée, accentuant ainsi son emprise despotique. L'opportunisme favorisant l'installation des pouvoirs tyranniques est magistralement incarné par le coryphée. Avec une gestuelle vive et changeante (rappelant la Commedia Dell'arte) le comédien exprime à la fois les inquiétudes et la veulerie, et parvient même à faire parler son regard à travers le masque. L'expressionnisme de ces demi-masques aux traits outranciers et au teint sombre traduit d'ailleurs l'archétype de chaque personnage, et signale au public ce qu'il peut attendre des rôles : brutalité pour l'un, souplesse de courtisan pour l'autre. Le jeu corporel et l'élocution des comédiens vont jusqu'à donner une illusion de vie aux masques. Costumes et accessoires contribuent à donner du sens dans une dimension intemporelle, tandis que musique et lumières créent une atmosphère à la fois étrange et actuelle.

 

Pendant tout le spectacle, il y a une belle ambiance. Le public-peuple est souvent activement sollicité, et j'ai vu de l'étonnement intimidé chez certains... ou un plaisir évident chez d'autres. Parmi les spectateurs, plusieurs personnes n'avaient jamais assisté à une pièce de théâtre. La représentation, qui a dû s'adapter à une situation météorologique imprévue, a été un succès. Truffée de références culturelles, d'allusions à l'actualité, d'humour et de ressorts comiques, il me semble que cette pièce s'adresse à tous les publics, chacun pouvant y trouver son compte. Par la portée universelle de son propos, c'est un excellent support de réflexion et de discussion sur le pouvoir, ses excès et la nécessité des contre-pouvoirs.

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