Les Voix d el'ogresseSpectacle de la Compagnie Les Ebruiteurs (34), vu le 28 Mai 2014 au théâtre La Vista, Montpellier (34), dans le cadre des "Jours de Friche"

 

Ecrit, mis en scène et interprété par Lucie Dessiaumes

Marionnettes, scénographie, accessoires : Alain-Claude Dessiaumes et Lucie Dessiaumes

Réalisation des costumes : Maryline Dessiaumes

Lumière, régie : Vincent Woolley

Regard dramaturgique, direction d'acteur : Eric Chatalin

 

VIVANT2-toiles-3Genre : théâtre et marionnettes

Tout public à partir de 8 ans

Durée : 50 min.

 

Première (coproduction avec La Friche de Mimi)

 

Décor : un fourneau, un porte-manteau perroquet et au fond un tableau où sont accrochés grands couteaux et hachoirs de cuisine. Une demi-pénombre, ou demi-lumière met en valeur les teintes brun-orangé de l'ogresse.

 

Nous sommes dans le monde du merveilleux. Une énorme ogresse joufflue et rebondie, plus "brave femme" que "méchant monstre", s'entraîne à se présenter face au public, en vue d'un concours de cuisine à la télévision. Hélas malgré plusieurs répétitions à la fois drôles et pathétiques elle n'arrive pas à décliner son identité. Aussi sort-elle le tout petit Pouche de son sein car il va l'aider. Il est à la fois son enfant imaginaire et le révélateur de son âme profonde. Avec des dialogues savoureux, Lucie Dessiaumes fait cheminer le spectateur entre le comique et le tragique, la tendresse et la peur, dans un univers où les relations mère-enfant et monstre-petit Poucet s'interpénètrent. Une première fin tragique, car l'ogresse ne résistera pas à ses instincts, permet de démarrer une autre histoire : celle des tourments intérieurs de cette pauvre femme qui ne se reconnaît plus tout à fait dans sa vie d'ogresse. Une nouvelle histoire pourrait naître ...

Les deux marionnettes forment un duo contrasté. La structure du petit Pouche est simple : un morceau de torchon, une balle. Par contre l'ogresse dans laquelle s'abrite Lucie impressionne par sa stature, mais ses rondeurs maternelles et ses couleurs chaudes rassurent et elle semble même belle dans ses excès. Elle affiche sa complexité. Ainsi revêtue, Lucie réussit un tour de force professionnel à la fois physique et psychologique : elle anime Pouche de la main droite pendant que le reste de son corps joue l'ogresse, donnant simultanément une autonomie de jeu à chacun des personnages. Pendant que l'ogresse parle, Pouche prend les poses de l'écoute active, s'occupe, etc. Lorsqu'il prend la parole l'ogresse réagit avec une gestuelle spontanée. Jouant beaucoup sur les nuances, la voix de Lucie est travaillée dans ses moindres inflexions, ce qui confère une justesse de ton à chaque intervention. 

 

J'ai été impressionnée par l'habileté avec laquelle les dialogues mêlent à la relation mère-enfant une sourde menace, et jouent sur l'équivoque d'un monstre très humain. L'ambiguïté cruelle des échanges s'accentue au fil du temps, créant un vrai suspens, car l'ogresse a avoué à Pouche la nature de ses festins ... Pendant qu'elle cuisine, Pouche la harcelle de questions comme le font les enfants. Comme le font les mamans, elle répond, berce, chantonne ou s'agace. Situation hallucinante car l'excitation de l'ogresse croît au même rythme que l'inquiétude de Pouche. Le dénouement très dur est précédé d'un dialogue très sobre et tranchant comme un rasoir, où chacun semble accepter son destin : être dévoré pour l'un / dévorer chez l'autre. Il ne reste alors plus à l'ogresse qu'une voix pour exprimer son ambivalence. Ayant apprécié la qualité du travail sur le texte et le jeu théâtral, j'en ai d'autant plus regretté de sentir quelques longueurs lorsque Pouche raconte ses rêves ou à la toute fin du spectacle.

 

C'est un spectacle chargé d'émotions et de qualités esthétiques où le rire, la tendresse et la peur se mêlent. Le merveilleux du personnage de l'ogresse rend la dureté de la situation supportable en lui donnant du sens. Complexe, tout à la fois rude, cruel et tendre, comme dans la vie, "Les Voix de l'ogresse" pose des questions sur l'identité, la relation mère-enfant, la différence, l'humain dans le monstre et le monstre dans l'humain, le poids des traditions et la liberté.

La légèreté de sa scénographie et son autonomie technique permettent à ce spectacle d'être joué dans une grande diversité de salles.

 

Catherine Polge

 

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