Louise-elle-est-folle.jpgSpectacle de la compagnie "Le Chien au Croisement" (34), vu le 20 Mars 2014, 20h30, au Carré Rondelet, Montpellier (34).


Texte : Leslie Kaplan (2011)

Mise en scène : Julien Assémat

Avec : Anaïs Assémat et Justine Boulard.

 

vivant-3-toiles-4Genre : théâtre

Durée : 1h20

Public : adultes et adolescents

Jauge : 100 à 500 (peut être adapté à 40)

Sortie de création

 

"Le Chien au Croisement" entreprend, comme à son habitude, de représenter un texte difficile et au propos très actuel. On retrouve ici la créativité de cette compagnie, au service de la réflexion politique et ironique de Leslie Kaplan, sur les femmes, la société, le sens des mots. Salle comble (40 spectateurs). Le décor est simple, constitué d'empilements de boîtes en carton blanc délimitant l'espace scénique,  une table-bar occupe le devant de plateau. A peine entré, le public est impliqué avec humour dans le spectacle.

 

Louise ? Elle n'apparaît pas sur scène, mais sa "folie" revient comme un leitmotiv dans la dispute entre deux jeunes femmes qui s'affrontent. Malmenées par tout ce qui est censé leur procurer le bonheur dans la société, elles cherchent à se raccrocher à des "vérités".  Elles se reprochent mutuellement leurs habitudes, se chicanent sur le sens des mots, s’interrogent sur tout ce qu'elles pensent. De la consommation de la cuisse de Berthe la vache, jusqu'à la complexité des relations humaines, tout est sujet à affrontement : les achats irréfléchis, Dieu, la grammaire, le sexe, l’injustice, le RER, les vendeuses, etc. Elles épuisent les sujets à toute allure. Et régulièrement, comme pour se rassurer sur sa propre santé, l’une ou l’autre déclare qu’elle ne fait pas comme Louise, car "Louise, elle est folle". Ensuite la conversation bifurque, Louise le contre-exemple devient à leur insu une parfaite illustration de leur propre vie. Le spectacle progresse sur un mince fil entre le comique et le tragique, et tout va finalement se déglinguer. La folie qui apparaît et enfle à travers ce duo féminin, semble bien être celle de notre monde, qui court à l’explosion.

 

Le langage poétique de Leslie Kaplan suit le cheminement conflictuel de la pensée des deux femmes, avec des ruptures et des répétitions. Ardue à la lecture, la langue de l’auteure est rendue ici dans sa puissance évocatrice, jouant sur tous les registres, du cocasse jusqu'au pathétique. Cette originalité du texte se répercute dans la mise en scène où rien n'est livré au hasard et qui alterne rythme effréné et pauses, utilisant le décor avec beaucoup de drôlerie. De nombreuses surprises font réagir la salle. Les comédiennes jouent adroitement mais sans outrance sur le contraste de leurs personnages. L’une (Anaïs) essaie de réfléchir calmement sur le sens des mots et cherche avec obstination "une cohérence" à sa vie quotidienne alors que sa partenaire (Justine), plus angoissée, bataille et se révèle finalement poète après une crise de mutisme à la fois inquiétante et comique. Terriblement tragiques lorsqu’en se disant heureuses elles fondent en larmes, elles sont en même temps très drôles ! Souvent étonnantes dans leur gestuelle et leurs déplacements, elles se croisent, s’associent, se fuient, se font face, se perchent, disparaissent, réapparaissent de manière facétieuse, etc. C’est très prenant. Tout est mis en jeu pour rendre la pièce accessible. L’utilisation humoristique du décor et des effets sonores apporte de bonnes ponctuations comiques et le public rit de bon cœur. Ces pirouettes ne gomment pas la profondeur du propos, mais l’accompagnent en nous incitant à rire de nous-mêmes et de nos absurdités. Une réussite.

 

Cette pièce propose une réflexion intéressante sur notre monde encombré, compliqué et où nous passons beaucoup de temps à chercher un sens aux mots, à la vie quotidienne et à notre rôle. Ce spectacle convient parfaitement à un public attentif au langage ou curieux des questions de société. Cependant l’inventivité de sa mise en scène et l'humour qui s'en dégage donnent à la pièce un dynamisme qui séduira un public plus large, tout simplement amateur de plaisir théâtral.

   

Catherine Polge

 

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