Nous autres
13 juil. 2014 Spectacle de la Cie "Cartoun Sardines Théâtre" (13), Avignon Off, 10 Juil. 2014, 12h40, Théâtre des Lucioles.
Roman d’Eugène Zamiatine (1920) adapté et mis en scène par Patrick Ponce et Mme Dominique Sicilia
Interprètes : Patrick Ponce, Dominique Sicilia (O-90, Bienfaiteur, gardienne), Bruno Bonomo (D-503), Catherine Sparta (I-330)
Décor : Marc Anquetil, Sylvie Criqui
Costumes : lycée Mode et Costume Les Côteaux (06).
Genre : théâtre documentaire
Public : tous à partir de 14 ans
Durée : 1h25
Jauge : jusqu'à 500
Création 2014
Patrick Ponce et Dominique Sicilia adaptent ici un roman d'anticipation sociale qui aurait, pense-t-on, inspiré "1984" et "Le meilleur des mondes". Eugène Zamiatine y décrit le totalitarisme débutant en Russie, sous la forme littéraire de la contre-utopie : oppression par un pouvoir invisible, au nom d'une société idéale.
"Nous autres" présente donc un système totalitaire, et l'aveuglement, la passivité, le désespoir ou la résistance qu'il suscite. C'est l'histoire d'un homme du 30è siècle, D-503, qui écrit son journal intime. Il vit sous l'autorité du "Bienfaiteur" dans "l'Etat unique", société idéale où les humains sont numérotés et s'activent dans un environnement nu et transparent. Toutes les activités sont contrôlées et les dissidents cruellement punis. Un mur vert infranchissable sépare cet Etat d'autres humains abandonnés à la liberté et, dit-on, livrés à la sauvagerie. Le mathématicien D-503 a créé un vaisseau spatial qui imposera l'Etat unique au monde entier. Mais il se laisse séduire par la troublante I-330, résistante clandestine qui le persuade de participer au sabotage de ce projet. Les "gardiens" de l'Etat unique, espions et délateurs font échouer leur tentative et D-503 et I-330 sont capturés et torturés.
Sur scène, un décor futuriste, sobre et mobile se modifiera au gré des éclairages : une cabine transparente, un lit, deux lampes sur bras articulés, beaucoup de jeux de lumière blanche. Les humains tous semblables sont ternes, en costume beige et brun. Cette atmosphère glaciale, fidèle au roman, peut dérouter un spectateur peu familier des oeuvres d'anticipation. Musique et bruitages ajoutent au dépaysement. Les seules couleurs chaudes font rayonner le costume somptueusement orangé du Bienfaiteur mystérieux et distant. Agitant ses mains énormes et redoutables, il s'adresse à nous (spectateurs) en préambule : "Vous êtes malades, vous serez parfaits comme des machines..." et disparaît dans son repaire. Les humains s'activent et le numéro D-503 commence à raconter, dévoilant ses pensées au fil de la représentation. Sur un rythme soutenu alliant narration, dialogues et action, l'intrigue progresse en maintenant un certain suspense. Entre certaines scènes très fortes et même dures, et des éléments burlesques, j'ai vécu des émotions contrastées, entre la tension et le rire. Les comédiens sont excellents dans ce jeu complexe avec des pantomimes et une gestuelle aussi réussies dans le comique que dans le tragique. Ce spectacle surprenant dégage une étonnante poésie et je me suis volontiers laissée absorber. Je n'en suis pas sortie indemne car le texte de Zamiatine prend toute sa dimension de mise en garde en résonance avec l'actualité.
La compagnie réalise un authentique travail de terrain autour de "Nous autres". En milieu scolaire Cartoun Sardines Théâtre a animé et filmé des débats sur l'utopie. La veille de la représentation, le film a été présenté aux élèves. Ainsi préparé, ce spectacle exigeant peut s'ouvrir à un public plus large et introduire des discussions dans les entreprises, les établissements scolaires, en famille. Qu'est-ce que la société idéale?
Catherine Polge