Petit manuel d'engagement à l'usage des mammifères doués de raison
01 juil. 2013 Compagnie Un jour j'irai (71)
Vu au Théâtre Pierre Tabard, Montpellier, le 14 Mars, 17h
Auteur et interprète : Yves Cusset
Direction d'acteur : Fanny Fajner
Adaptation d'un texte littéraire, solo théâtral
Durée : 1h10
Public : adultes et adolescents
Présent sur le Off 2013
En 2008 Yves Cusset, touriste à bord d'un charter à destination de Kinshasa fut témoin direct de l'expulsion d'un Africain sans papiers. S'y étant ouvertement opposé, il fut interpellé par la police et mis en garde à vue.
A la suite de cette affaire, il a écrit sur l'engagement politique, d'abord un livre, puis ce spectacle où il met en scène un homme « ordinaire » qui, tel son double, se livrera au même acte de rébellion.
Une cinquantaine de spectateurs sont réunis ce soir-là. Le décor est réduit à quelques accessoires au service du texte.
Y. Cusset nous invite ici à suivre les aventures de son personnage dont l’état d'esprit passera par plusieurs phases, matérialisées de manière originale par des changements de costume effectués sur scène. En tenue décontractée et pieds nus, cet homme est poussé à "faire l'effort de s’engager politiquement - et nécessairement à gauche - parce que la droite c'est naturel."
C'est tout d'abord dans l'absolu qu'il explore les possibilités d'engagement, avec des jeux de mots désopilants qui déferlent à un rythme soutenu. Cusset malmène autant la droite que la gauche, pointe au passage les impasses des systèmes de pensée et débusque nos contradictions en jouant sur le mot "identité". L'humour omniprésent est percutant et accentué par des mimiques étonnées et décalées.
Lorsque dans dans un second temps l'engagement du personnage s'incarne dans l'action, un silence impressionnant tombe sur la salle. Nous assistons en direct à la tentative d'opposition à l'expulsion d'un Africain par Easy jet to come back home . La pantomime et les jeux de mots soulignent la tragique absurdité du fait divers et le public est carrément secoué. Toujours pieds nus mais en tenue asilaire, pour sa garde à vue, Cusset se dirige vers un asile immense : le monde, où il perd son ardeur protestataire. Alors, enfilant un superbe costume blanc et des chaussures, images de sa rentrée dans l'ordre, il s'accommodera du pire puisque "tout est question de vocabulaire. "Expulser" c'est comme "prendre un enfant par la main, l'emmener vers demain"…On retrouve le cynisme de Desproges, sur un fond musical ironique des chœurs de l’armée rouge.
La conclusion est laissée à Blaise Pascal "Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour de folie, que de n'être pas fou". Enfin, en remettant ses vêtements "de ville" avant de quitter la scène, Cusset abandonne son personnage à ses compromis.
J'ai particulièrement apprécié la virtuosité linguistique et le jeu scénique d'Yves Cusset qui font monter le spectacle en puissance, jusqu'au "fait héroïque", puis le dégonflent comme à la sortie d'un rêve. Au-delà du feu d'artifice verbal d'une grande drôlerie, le personnage exprime un désenchantement qui ne lâchera pas les spectateurs. Pour un mammifère doué de raison ce "petit manuel" joue le rôle d'une fable en mettant en scène avec un humour incisif les contradictions et les petits arrangements dont nous sommes bien souvent tentés de nous satisfaire.
Un spectacle à conseiller à tout public, de droite, de gauche ou autre, pourvu qu'il soit doué aussi d'humour.
Autres commentaires des spectacles de Yves Cusset :
Rien ne sert d'exister et N'être pas né.
Le theatre Pierre Tabard, c'est ici.