Pour un oui ou pour un non
10 juil. 2013
Spectacle de la compagnie Plakka Théâtre
vu le 9 juillet 2013 à 16h30 à l'Espace Roseau, dans le cadre du festival d'Avignon
Texte : Nathalie Sarraute
Avec : Jean-Marie Russo (H1) et Paddy Sherlock (H2)
Genre : théâtre
Durée : 1h10
Pour commencer, le choix d'un texte d'une telle qualité est à souligner. Nathalie Sarraute, comme à son habitude, y effectue son "travail de sorcier" afin de traquer ce qui se joue en nous d'invisible, souvent indicible, et qui est d'ailleurs rarement dit. Enorme challenge que de ne jamais trahir la force, la finesse et l'intelligence d'un tel texte. Je peux le dire d'emblée : le défi semble réussi, et même haut la main ! Mise en scène, lumière et comédiens s'accordent à merveille pour nous tenir en haleine avec ce texte exigeant.
L'auteure ne tourne pas autour du pot. Dès les premières répliques, le problème est posé :
« H1 : Ecoute, je voulais te demander… c’est un peu pour ça que je suis venu… je voudrais savoir… Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que tu as contre moi ?
H2 : Mais rien… Pourquoi ?
H1: Oh, je ne sais pas. Il me semble que tu t’éloignes. Tu ne fais plus jamais signe. Il faut toujours que ce soit moi… »
Deux amis s'affrontent et s'expliquent. Il est dit ici ce qui d'ordinaire reste tu. Tout est disséqué, et surtout une phrase qui aura tout déclenché, et le ton sur lequel elle aura été prononcée. A partir de celle-ci se révèlent deux personnalités entières aux valeurs presque antagonistes. L'un au bonheur social bien défini, où tout peut être nommé, où tout paraît solide, l'autre hors des clous, plus orienté vers le bonheur intime, profond, et qui n'a pas de reconnaissance sociale. Chacun tente de paraître sûr de soi dans ces choix, mais une fascination envers l'autre les déroute eux-mêmes, crée l'amitié puis l'incompréhension, le malaise voire le rejet et, pour finir, l'éloignement. C'est que chacun porte l'autre. Chacun ne peut exister que par opposition à l'autre. C'est que l'un est le oui, l'autre le non.
H2, l'homme qui rompt "pour un oui ou pour un non", est joué par Paddy Sherlock dont l'accent irlandais renforce le sentiment d'étrangeté flottante par rapport à "nos" normes. L'idée de lui faire jouer du trombone est excellente car c'est une autre forme d'expression encore, sans mot, mais d'autant plus forte. Elle illustre sa volonté de faire comprendre quelque chose sans le dire, d'exister autrement que communément admis. Mais, pour cela, il faut qu'il y ait du "communément admis".
De H1 émane au contraire un sentiment d'incompréhension et de vacillement, sur des bases qu'il a toujours jugé plus solides et surtout plus justes. Il y reste d'ailleurs bien posé, ne vacille au final que peu, mais tente de comprendre l'éloignement de son ami ; éloignement ô combien perturbant dans son système. Système qui n'existe que parce que certains (comme son ami H2) restent en marge...
Les deux personnages évoluent sur une sorte de légo géant blanc, noir et rouge, qui bouge, s'encastre, se déploie. Chacun y monte, s'y assoit, y court, y prend les mots aux pieds de la lettre par le contact avec l'autre ou avec l'instrument. Chacun y prend de la hauteur et du pouvoir, avant de redescendre et de se laisser plier ou vaincre, pour à nouveau retourner "chez lui" où il passe plus d'air, où tout est plus rassurant. Les deux comédiens, par leurs corps, leurs regards et leurs intonations, nous saisissent sans nous lâcher une seule seconde. On est convaincu, du début jusqu'à la fin.
Enfin, les jeux de lumière nous guident et nous émeuvent. Durant un instant, nous, le public, sommes éclairés, comme pris à parti. Ne serions-nous pas nous-mêmes les voisins, les passants, les autres, tous ceux qui jugent H2 et adoubent H1 ? A moins que ce ne soit l'inverse ? Pour un oui ou pour un non ?
Un excellent spectacle qui questionne et rend heureux par son énergie et sa pertinence.