Les Derniers feux
08 mai 2014 Spectacle de Eric Jovencel, vu le 26 avril 2014, au Théâtre de Pierres, à Fouzilhon (34).
De et avec : Eric Jovencel
Mise en scène: Julien Guyomard
Régie et regard : Frédéric Lopez
Création lumière : Alexandre Dujardin
Remerciements à Camille Radoux et la Cie Pôle Nord.
Genre : théâtre
Durée : environ 1h15
Public : adultes
Eric Jovencel est un sagouin : pour parler d'une micro-seconde capitale de son existence (le franchissement d'une porte qu'il ne fallait pas franchir...), il aime en mettre partout, tâcher la nappe, prendre des chemins de traverse qui vont nous emmener à l'autre bout du monde, crier, se « répandre » comme dit sa sœur. Et c'est cet excès qui fait toute la beauté de son spectacle intimiste « Les derniers Feux », récemment joué au Théâtre de Pierres de Fouzilhon.
Arriver à parler de la chose la plus intime qui soit en « prenant la bande » comme au billard, en parlant d'autre chose, puis en nous y amenant après 1000 détours... quand cette seconde arrive dans le spectacle, quand le texte subitement se vrille pour toucher à cette intimité, on est tout étonné, on est ému, on est content, et on est admiratif.
Eric Jovencel est un Burlador, séduction dandy et verbe facile comme son modèle. Tout part de là, de la pièce de Tirso de Molina (1583-1648) qui invente le personnage de Don Juan. Le comédien va nous résumer la pièce à sa façon, physique, symbolique, habitée, distante, critique. Parce que sa sœur, un jour, lui a dit qu'il ressemblait au personnage, il va fouailler les arcanes du texte, tenter d'en tirer cette vérité qu'il ne saisit pas, ce miroir qu'il voudrait bien enfin avoir en face. Le spectacle est aussi ça : un hommage à la pièce originelle, à ce personnage à la fois minable et grandiose, téméraire et couard, humain, trop humain. C'est en passant par cette humanité-là que le processus intime va se faire ; c'est en combattant le Commandeur épée à la main façon Errol Flynn que la vérité va se faire jour. C'est en résumant point par point la pièce qu'il va parvenir à parler de lui, de sa sœur, de ses fantasmes sexuels terriblement banals, de son identité fluctuante.
Eric Jovencel est un homme courageux : au bout de ces 75 minutes de spectacle façon « de cape et d'épée », qui nous auront fait rire et nous auront emmenés au fin fond de l'Espagne, il nous cueille avec cet autoportrait à la frontière entre réalité et fantasmes, et l'on ne sait plus vraiment où est le théâtre ni où il est, lui, entre ce qui s'est passé et ce qu'il aurait aimé qu'il se passe. L'artifice de la représentation est là (projecteurs manipulés en direct, simplicité du lieu, ton très « stand-up »), mais son émotion directe aussi ; le comédien parvient, par son jeu entre naturel et sophistication, à nous entrainer sur ses pas, à la recherche de ce moi que l'on voit naître en direct.
Subtilement écrit, joué avec effronterie et sincérité sans rien cacher de ses défauts, habillé d'une mise en scène sobre mais intelligente (Julien Guyomard aux manettes, attentif et patient directeur d'acteur qui a su faire accoucher une souris d'une montagne), le spectacle « Les derniers feux » m'a emballée : l'impression d'une vie qui se raconte en direct, pudiquement mais sans rien cacher. La force du comédien et du sujet, la délicatesse qui prend des airs de crânerie, l'humour, la précision de la mise en scène, tout y est : Eric Jovencel nous a offert un grand moment.
Danielle Krupa / www.allez-zou.fr