Sic(k)
05 août 2014 Spectacle d'Alexis Armengol - Cie Théâtre à cru, vu le 20 juillet 2014 à Avignon, La Manufacture.
Interprètes : Alexis Armengol, Rémi Cassabé, Claudine Baschet.
Genre : théâtre
Durée : 1h15
Public : à partir de 16 ans
Depuis toujours, ce n'est pas à Alexis Armengol qu'il faut demander des réponses. Le metteur en scène du dynamique Théâtre à Cru leur préfère mille fois les questions, le doute, la mise en débat. Sic(k) est une nouvelle preuve de ce fait : en nous demandant de réfléchir au problème de l'addiction (à l'alcool, à la drogue, au tabac), il se place lui-même de notre côté, celui du candide, celui qui ne sait pas. Posture intéressante, puisque cet étrange spectacle va ainsi nous amener face à nous-mêmes par mille voies différentes.
Pourquoi est-on alcoolique ? Pourquoi aime-t-on cet état second provoqué par l'alcool ? L'alcool est-il systématiquement associé à la fête ? Ou au contraire à la dépression ? Ou faut-il y chercher quelque chose de philosophique ? De psychologique ? De sociologique ? De politique ? De poétique ? Sur un plateau chargé de toutes les possibilités (des objets aussi divers qu'un tabouret en forme de crâne, une tente-cabine transparente, une guitare électrique, un livre de Deleuze, un foie gonflable géant et bien sûr des bouteilles), Armengol orchestre une série d'impulsions qui toutes questionnent notre rapport à l'ivresse. Série de témoignages d'anonymes enregistrés dans un sample endiablé, réflexions de penseurs, témoignages directs (les trois comédiens sont à la fois les témoins et les Monsieur Loyal de ce désordre soigneusement rangé), extraits de films, tous les angles y sont, et toutes les émotions : c'est tour à tour joyeux et gentiment anar, quand sont évoqués l'anti-conformisme de l'ivresse et son aspect festif, et très sombre, quand on parle brusquement de cauchemars, de déprime, d'impossibilité d'être soi, de dépendance. Le talent du spectacle étant de mêler tout ça en un seul flot, musical, littéraire, cinématographique, sonore, sérieux et anodin à la fois. Un collage pop qui soulève de nombreuses questions. C'est John Cassavetes qui servira de référence au spectacle, c'est dire la part de farce et d'amertume cachée là-dedans.
Exercice de style, donc, que ce spectacle traverse sur le fil, avec ce que ça comporte de chutes et de moments d'éclat. Sur la longueur, Sic(k) est inégal, parfois lassant ou redondant, parfois même légèrement poseur : la posture rock'n roll y est un peu crâneuse, manque de sincérité, étrangement déréalisée par cette sorte de "non-jeu" des acteurs, une distance souvent dommageable à l'intérêt de ce qui est dit. On a le droit de rester complètement en-dehors de ce dispositif complexe, cérébral, parfois même glauque et volontairement morbide. Mais on peut aussi adhérer à ce faisceau de sens qui nous arrivent de tous les côtés, et trouver dans ces témoignages un troublant écho à notre propre histoire. Un spectacle aussi rebelle que son sujet, qui dresse son mystère et son originalité comme un étendard ; un spectacle jeune qui s'interroge sur la jeunesse ; un spectacle unique et "debordien"... qui donne envie d'en boire un petit dernier.
Danielle Krupa / www.allez-zou.fr