Cie Alain Timar (84).

 

Vu le mercredi 28 Avril 2010 au Théâtre des Halles - Avignon (84). 

 

D’après l’œuvre de Philippe de la Genardière (Éditions Actes Sud, 2003)

 

Adaptation, mise en scène et scénographie : Alain Timar

Avec : Paul Camus, Yaël Elhadad, Nicolas Gény, Roland Pichaud, Claire Ruppli

Régie générale, son, lumière : Hugues Le Chevrel

Décor : Jérôme Mathieu, assisté de Hafid Benchorf, Renaud Eymony et Delphine Crevon

Costumes : Rahamata Madjoine, Dafine Maoulida

 

Durée du spectacle : 1h30

 

Alain Timar aime mettre la lumière sur certains textes et auteurs qui restent dans leur part d’ombre, parfois même de poussière. Dernièrement, il nous a fait (re)découvrir Louis Calaferte, il a sublimé d’une manière époustouflante le récit de Darina Al joundi et aujourd’hui, c’est à la rencontre de Philippe de la Genardière qu’il nous convie. Nous retrouvons la continuité du travail, du regard d’Alain Timar sur la vie, l’homme et l’humanité, la simple humanité, anecdotique ou d’actualité médiatique, celle que l’on a pu rencontrer dans « Je veux qu’on me parle » ; nous retrouvons ce goûtpour les mots, le récit quand ils ne sont pas vide de sens et qui du roman à la scène deviennent pièce à jouer comme dans « Le jour où Nina Simone a cessé de chanter ». Mais Alain Timar développe et remet aussi en question sa scénographie, prenant le contre-pied d’un plateau épuré de tout décor. Nous entrons ici dans un univers hyper réaliste…

Silence du plateau et murmure de la salle, le public s’installe dans une atmosphère embrumée. Ça sent les gravats, le vieux, la poussière. Noir, lumière. Nous voilà plongé dans un univers palpable : scène d’atelier vitré au carré, jonchée de décombres, de mobiliers tordus, renversés, cassés, sur trois pieds. Du premier rang, c’est un bonheur que de passer à travers le 4ème mur, de s’intégrer dans ce monde désintégrer. Cette scénographie vient à la rencontre de nos sens, au delà de ce que le 7èmeart peut nous faire vivre et partager. Les silhouettes entrent, hantent le lieu. Sous leurs pas, le bruit de la poussière, sous la main qui racle la table encore nous entendons cette poussière, pas n’importe laquelle : pas celle du temps accumulé mais celle des décombres après démolition, celle qui écorche la peau. L'accompagnement scandé de la symphonie de Bruckner est peut-être utile mais secondaire, il n'a pas la pertinence de la voix de Nina Simone entendue par ailleurs. Les silhouettes se déplacent dans un ballet chorégraphié en trois actes délicatement suggérés, jouant avec les temps, donnant l’impression d’un film sur magnétoscope qu’on passe, repasse, rembobine, en avant, en arrière, lentement et en accéléré. Le spectateur devient téléspectateur et complice d’un metteur en scène qui créé avec une « zapette » virtuelle. Au programme ?... Nous. Notre monde, celui allant des années 90 au début de notre nouveau millénaire, millénaire qui n’a pas commencé comme on pourrait le penser le 1er janvier 2000 mais un fameux 11 septembre.   

L’histoire qui se déroule sous nos yeux nous emporte dans ce monde hyper réaliste au passé si proche, nous remémorant ce 11 septembre mais aussi la vache folle, le sida, notre cyber espace(le mot « cyber » est devenu si rapidement suranné…). Cet aller retour temporelle que n’importe quel spectateur est à même de faire est dérangeant car il nous plonge dans un univers de science fiction à la George Orwell, un An 2000 aux couleurs prophétiques de celui que l’on a pu découvrir dans « 1984 ». Si un lecteur peut s’amuser ou s’étonner de cette vision si proche de notre réalité alors que l’œuvre a été écrite en 1948, nous ne pouvons que ressortir avec des questionnements quelques peu angoissant quant à notre humanité d’aujourd’hui quand le simple réalisme du texte de Philippe de la Genardière nous apparaît alors comme de la science fiction.

Alain Timara extrait de l’œuvre « Simples mortels » la voix journalistique, ou universelle, ou peut-être même divine, qui ponctue l’histoire d’une famille dans son quotidien. Le ton des comédiens est celui du récit, de la narration, de la déclamation, jamais celui du dialogue, de l’échange. A eux tous ils représentent cette voix unique. Si cette volonté d’adapter un texte narratif à la scène a été une parfaite réussite à travers les mots de Darina Al Joundi, ici et sans remettre en question la valeur littéraire de l’auteur, l’adaptation peut par contre gêner, nous faire « décrocher ».  « Incarner » des mots, leur donner chair et vie n’est pas toujours évident, voir possible. Le parti pris du metteur en scène est peut-être encore trop conceptualisé et demande certainement à se développer plus instinctivement pour atteindre l’affect du public.

Alain Timar est encore une fois le maître d’œuvre d’un bel et ambitieux projet théâtral. Ce spectacle fraîchement créé est prometteur. La manière de mettre en lumière le texte, les fabuleux décors qui jouent exceptionnellement avec nos sens au-delà du simple effet filmo-graphique, la qualité de l’interprétation des comédiens, sont le reflet d’un travail de grande qualité. Cependant, ce spectacle devra mûrir. Les costumes et les âmes demandent à se froisser, à prendre des demi-teintes plus grises, moins blanches, les silhouettes à développer de subtiles nuances plus ou moins colorés, pour qu’au final la granulosité si bien mise en vie du lieu transparaisse sur l’être humain, si simple mortel… Avec de telles bases déjà jetées, nul doute que ce spectacle arrivera à cette qualité attendue. Lors de cette première représentation, les spectateurs manquaient visiblement de réaction sans pour autant donner l’impression de passer un moment lassant. Si cette pièce joue avec le temps, les temps, il faut également ne pas oublier un temps essentiel: celui nécessaire à l’élaboration d’un spectacle jusqu’à sa maturité. Rendez vous donc au mois de Juillet pour cette création à ne pas rater.   

 

Du 8 juillet au 29 juillet 2010 à 14 heures au Théâtre des Halles, dans le cadre du Festival Off .

 

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