Un Lion derrière la vitre
08 avr. 2014Spectacle de la compagnie "La Morena" (34), vu le 24 Février, 18h, à la Chapelle Gély, Montpellier.
Conception, mise en scène, voix : Emmanuelle Bunel
Photos : Eric Le Brun
Création vidéo : Corentin Berger
Textes : Anouar Benmalek
Arrangements et clavier : Vincent Lafont.
Genre : chant, images et musiques
Durée : 1h20
Public : tous à partir de 7 ans
Sortie de chantier
La compagnie "La Morena", créée à Lille, vient de s'installer à Montpellier. Emmanuelle Bunel qui a travaillé sa voix en se formant à des sources plurielles, chante la Méditerranée depuis 2004. Séduite par le travail d’Eric Le Brun qui a photographié en noir et blanc plusieurs villes méditerranéennes, elle a conçu ce spectacle où les images, la voix et la musique s'associent dans un équilibre harmonieux pour nous "emmener autour de la mer blanche du milieu".
Une cinquantaine de spectateurs pour cette première à La Chapelle Gély. En fond de scène un écran, qui sera tantôt large, tantôt réduit. Les 3 musiciens sont installés sur le côté : clavier, guitares et batterie.
Un lion de pierre apparaît et, énigmatique, il nous observe derrière une vitre zébrée de pluie ou de larmes. Il prend figure humaine et son regard est attentif, triste, interrogateur, comme une image de la puissance solitaire de la Méditerranée et de ces six villes nées sur son pourtour. Cordoue, Venise, Sarajevo, Istanbul, Jérusalem, Alexandrie. Parfois déclenchées par la voix de la chanteuse, les photos défilent sur l'écran grâce à un excellent et toujours surprenant montage vidéo qui crée des mouvements. Souvent énigmatiques, les images révèlent brusquement une vérité. Emmanuelle Bsuunel les interroge ou s’y plonge, en chants, en poèmes, ou en silence. Sa longue silhouette noire longe un bout de mur, se penche sur des entassements de maisons, contemple des rues, un flou de no man’s land, des ruines, un manège fou, une lagune... Les images basculent, s’éloignent, se divisent, se transforment, un oiseau passe de l'une à l'autre. Les visions secrètes et fugitives de ces villes sont bien loin des clichés touristiques et leurs multiples nuances de blanc et de gris m'ont fait voyager dans leur intimité mieux que ne l'auraient fait des couleurs chatoyantes.
D'une voix profonde aux tonalités variées, Emmanuelle Bunel chante dans la langue de chacun de ces chants anciens arrangés par Vincent Lafont ou déclame des poèmes d'Anouar Benmalek. Elle berce ou elle transperce avec une mélodie italienne, une berceuse et des cris pour Jérusalem, "ville de beauté et de chaos", des enfants morts sur les cailloux de Naplouse, ou une courte incantation pour les apatrides. Fascinée, je l'ai suivi jusqu'au bout de ce voyage où elle chante une tragédie amoureuse au rythme du coeur et du sang, avant d'être absorbée par la pénombre. Avec un jeu de scène sobre mais expressif, elle bouge, s'immobilise, s'agenouille, entre dans les images. Une réussite totale.
Les beaux arrangements musicaux sont originaux, sans exotisme ni orientalisme. La musique s'empare parfois des images pour en tirer des émotions, des sourires, de la tendresse, des larmes ou des cris. Elle emporte les chants d'Emmanuelle Bunel ou crée des pauses mélodiques où par exemple quelques notes de piano pour le petit oiseau du Tassili indiquent le sens de la vie.
Alexandrie m'évoque encore un grand visage de pierre à demi immergé dans l'eau et le mur des lamentations me rappelle les quelques plantes poussant dans ses interstices, tant ce spectacle résonne fortement. Après une telle représentation où passé lointain, présent et rêves se côtoient entre douceur et violence alors que les paysages et les chants reflètent la complexité des histoires humaines, je ne pouvais que rêver de la paix qui s'en dégage en arrière-plan.
La Chapelle Gély offre une grande scène adaptée au déploiement des images et à la présence de 3 musiciens. La compagnie de la Morena prépare la sortie d'une version plus légère du spectacle, adaptée aux espaces plus intimes, et accessible à un public plus diversifié, Maisons pour tous, petits plateaux.
Catherine Polge