Hippocampe
Hippocampe

Spectacle de la compagnie Le 13ème cri (69), vu à l'Impro Club d'Avignon dans le cadre du Festival OFF 2023.

 

Mise en scène et interprètes : Johanna Tixier et Jérémy Jeannès

Création sonore : Yannick Loubet

Création lumière : Quentin Myon

Genre : Théâtre / improvisation

Public : à partir de 7 ans 

Durée : 1h

 

Qui n’a jamais rêvé de vivre en pleine conscience la réalité d’un rêve ? De goûter les saveurs de l’hypnagogique cher à Dali et poursuivre cette dynamique onirique jusque dans les tréfonds des puissances créationnelles du songe ?! Hippocampe, c’est cela. Un voyage envoutant dans les mystères du rêve.

 

Et voici la splendeur du protocole suivi pour ce faire : le public dans le théâtre, deux rayonnants comédiens sur scène, un musicien endormi. Réveiller le musicien. Les comédiens demandent alors au public de choisir un des cinq sens du perceptif humain et de laisser agir le pouvoir d’évocation immédiate inhérente à ce choix. Pour nous, ce fut le toucher et un spectateur se souvint d’un contact récent avec du scotch, qui collait…La colle, se souvenir , se souvenir…La colle Cléopâtre, la petite peau qui se détache après un contact avec la colle glue, être collé à l’école, être collé à l’autre, être à la colle nous apprendra aussi un monsieur rappelant que l’expression signifiait à l’époque vivre avec quelqu’un sans être marié…Ainsi vont émerger dans une infusion collective la saveur déjà pré onirique de ces résurgences mémorielles…Tiens, tiens, l’hippocampe, au-delà de ce petit animal marin bien connu, ne serait-il pas dans le cerveau autre chose que le siège de la mémoire par lequel va s’assoir en majesté la force récréative de la narration cérébrale qu’est le rêve? Eh bien si !

Fin de ce partage. Nous, public, comprenons que nourris de cette effusion collective résultant du choix du sens, les deux comédiens vont à présent improviser notre rêve devant nos yeux grands ouverts, cœurs et esprits embarqués dans cette plongée dans les arcanes de la psyché.

Aucun mot ne sera partagé entre les comédiens ; seuls, un regard et une étreinte. Etreinte qui nous étreint , nous saisit, nous suspend de l’espace-temps en place, et ne nous ramènera aux rives de la conscience ordinaire qu’une heure plus tard…Une heure qui ne se quantifiera alors pas autrement que par la densité qualitative de l’éblouissement par le songe qui promet d'ores et déjà sa valeur transformative pour l’être qui va la franchir. En d’autres termes ? Le temps n’existe plus.

« Notre » rêve fut d’une fantaisie, d’une beauté, d’une sensibilité incroyable. Les sens de la colle furent tous passés en revue dans un travail de création dramatique et poétique de haut vol. Dans notre rêve, on a ri, on a pleuré, on a été surprit des rebondissements, nous nous sommes émerveillés. Impressionnés aussi. Impressionnée par la qualité, le professionnalisme de deux comédiens talentueux, à la générosité rare et à l’inventivité qu’une intelligence commune embrase de manière limpide douce et coordonnée.  Leur voix aussi, les deux ont une voix surréalistiquement belle qu’ils modulent génialement au gré des atmosphères et des personnages. Le musicien y trouve aussi sa juste et merveilleuse place à la manière toute aussi géniale que ses partenaire en les accompagnant et en nous accompagnant dans les rythmiques de ce rêve en revêtant et révélant toute une poétique. Les personnages du rêve s’enchaînent, se déchaînent,  on retrouve les leviers du travail du rêve théorisé par Freud, de la condensation au déplacement. On ressent à la fois la folie anarchique et inventive du songe tout en étant précisément scotché par la rigueur structurale nécessaire à la proposition théâtrale ( les enchainements rythmiques, les punchlines, les chutes ). Notons aussi une création lumière qui s’improvise elle aussi dans la magie de cet équilibre.

Magique. C’est le mot. Tel fut ce voyage. Mais alors, quel est le truc ? Il s’appelle certainement le talent , le travail, la bonté belle et sensible de qui veut donner à vivre jusqu’au bout la saveur des imaginaire à l’ouvrage.

Que tous nos endormissements s’accompagnent du réveil de cette même magie improvisatrice, notre conscience en aura vu en tout cas un merveilleux exemple.

Je compte bien rêver à nouveau avec eux et par eux. Un tout nouveau rêve bien sûr, que l’aléatoire de l’improvisation rend si unique et précieux.

 

Ludivine Vincent

Retour à l'accueil