La panne
08 avr. 2024Spectacle produit par la Cie les Têtes de Bois (34) et vu le 09 mars 2024 au Théâtre Bassaget à Mauguio (34)
Texte : Friedrich Dürrenmatt (traduction : Walter Weideli)
Mise en scène : Mehdi Benabdelouhab
Interprètes : Jean-Luc Daltrozzo, Olivier Corcolle, Valeria Emanuele, Laurence Landra, Mehdi Benabdelouhab
Création lumière et régie : Natacha Raber
Scénographie : Andrea Cavarra et Mehdi Benabdelouhab
Costumes : Sonia Sivel
Masques : Brina Babini
Création et musique originale : Pierre Bernon d’Ambrosio
Graphiste : Antoine Vivier
Genre : Théâtre
Durée : 1h30
Public : Tout public à partir de 12 ans
Après « la Visite de la Vieille Dame », les Têtes de bois se lancent dans la mise en scène d’ un autre roman de Friedrich Dürrenmatt, écrit en 1955 et qui a été adapté à trois reprises au théâtre, mais aussi au cinéma en 1972 par le grand Ettore Scola, sous le titre « La plus belle soirée de ma vie ».
Alfredo Traps représentant de commerce, est tombé en panne de voiture dans un village isolé. Il est tard, la réparation va être longue, il n’y a pas de place à l’auberge du village. Le garagiste lui donne l’adresse d’une sorte de chambre d’hôtes, dans laquelle débarque Alfredo, accueilli par un vieux monsieur. Très vite, trois autres vieillards émergent à tour de rôle d’un tas de tables et de chaises en désordre… Ambiance embrumée genre « lendemain de fête » !
Ils sont anciens juge, procureur, avocat et bourreau. Nostalgiques, ils se plaisent à animer régulièrement leurs soirées avec une sorte de jeu, au cours duquel ils recréent une cour d’assises. Comme ils l’ont fait la veille d’ailleurs. Dans ce jeu il ne leur manque généralement que celui qui doit tenir le rôle de l’accusé. Et la providence leur envoyant Alfredo, ils lui proposent d’endosser ce rôle. D’abord réticent, celui-ci finit par se laisser convaincre… Sans même qu’il en ait conscience, l’interrogatoire commence. Mais il ne voit franchement pas de quoi on pourrait bien l’accuser. Il a une vie tout à fait banale… Mis à part peut-être un petit adultère à l’occasion ! Il décide alors de faire plaisir à ses hôtes et rentre dans ce jeu du « procès d’un homme innocent », qu’il trouve finalement plutôt amusant. D’autant que la progression des débats est ponctuée de dégustations de bonne chère et de grands crus, à un rythme accéléré au fur et à mesure que se font sentir les effets de l’alcool. Grisé, Alfredo se laisse aller à des confidences « anodines », qui vont cependant alimenter le réquisitoire vraiment remarquable, mais aussi très à charge, du procureur, jusqu’à convaincre Alfredo lui-même de sa culpabilité.
A vrai dire, le spectateur commence aussi à s’interroger. Au fond, n’avons-nous pas tous quelque chose à nous reprocher ? Ne sommes-nous pas responsables par nos comportements de situations tragiques et par le fait, condamnables ? L’on comprend bien vite que ce n’est pas un simple jeu. L’atmosphère est oppressante, de plus en plus inquiétante, heureusement détendue par des gags comiques à répétition, comme chaque fois que le bourreau (Mehdi) ouvre une nouvelle bouteille en mimant le bruit du débouchage, mais aussi par l’accompagnement musical original que l’on doit à l’excellent Pierre Bernon.
Une nouvelle fois, les Têtes de bois nous offrent un spectacle qui bien que récemment créé, est déjà très abouti. Fidèle à ses habitudes, la compagnie utilise des masques - toujours aussi magnifiques - sauf pour le personnage d’Alfredo, pour camper les retraités du Barreau. La grande pratique des comédiens de la compagnie leur permet la maîtrise parfaite de la gêne occasionnée par le masque dans l’élocution, mais aussi dans le jeu, associé qui plus est à une démarche courbée de « vieillard », tout au long d’un spectacle de 90 minutes, très dense en termes d’échanges verbaux et de jeux scéniques.
En réminiscence du théâtre de tréteaux espace privilégié d’intervention de la Compagnie, on retrouve comme seul décor, dans une ambiance lumière sobre, une structure faite de blocs modulables à l’envi, agrémentée de trappes par lesquelles apparaissent ou disparaissent les personnages.
La Compagnie des Têtes de Bois, qui évolue dans un registre qu’elle se plait à définir comme « Poesia dell’arte » et qui va fêter cette année ses 20 ans d’existence, nous offre une fois de plus un très beau spectacle qui se termine en musique avec l’air entraînant « Willkommen » - Bienvenue -, extrait de la comédie musicale Cabaret, ce qui permet au public de revenir agréablement à la réalité, tout en entonnant la chanson avec les comédiens.
Cathy de Toledo