Crédit photo : Romain Debouchaud

Crédit photo : Romain Debouchaud

Maelström

Spectacle de La Compagnie MAB (13) vu le 12 janvier 2024 au Théâtre d’Arles (13).

 

Texte : Fabrice Melquiot

Mise en scène : Marie Vauzelle 

Comédienne : Louise Arcangioli

Musicien : Léopold Pélagie

Création sonore : Josef Amerveil

Création vidéo : Raphaël Dupont

Scénographie : Christoph Klebes

Assistante mise en scène : Lison Rault

Durée : 1h15

Public : à partir de 12 ans

 

Je rentre dans la salle. La scène est ouverte. Une jeune fille se cache dans le dédale d’un échafaudage, des filets délimitent différents espaces. Côté jardin un DJ diffuse de la musique en live. La musique se fait de plus en plus forte jusqu’à devenir assourdissante. Un spectateur appareillé présent dans la salle me dira qu’il a coupé son appareil pour échapper à la musique, j’en aurais bien fait autant !

 

Le ton est donné, nous allons vivre un tourbillon de sensations.

Ainsi, Maelström - au sens propre courant tourbillonnant, mais aussi mouvement impétueux et même révolte intense - nous donne à entendre le monologue intérieur de Véra, adolescente de 14 ans, née sourde et  appareillée.

Tout d’abord je saluerai la performance de la comédienne, débordante d’énergie mais aussi de précision et de finesse dans son jeu et qui m’a réellement permis de percevoir toute la palette des émotions traversées par Véra.

Le texte se balade dans la tête de cette adolescente, qui au-delà des tourments propres à son âge, subit en plus une tourmente liée à sa différence. A cause de sa surdité, elle vient de se faire éconduire par le garçon dont elle est amoureuse.

Alors elle laisse sortir les mots de sa rage, de tout ce qui est difficile pour elle, de son invisibilité, de ses revendications, de ses tristesses, de son isolement.

Le texte est âpre, pas toujours fluide, comme la difficulté des mots à sortir de sa bouche, la parole est saccadée parfois aussi la pensée. Mais elle est tellement intelligente cette pensée, tellement lucide.

Véra trouve dans le sac de son amoureux un livre sur les nazis qui dit la violence des stérilisations forcées des handicapés (dont les sourds) dans un souci d’apurement de la race ! Colère !

Véra évoque la difficulté des sourds dans la foule ou dans une file d'attente. On la bouscule sans s'excuser. Solitude ! « Je vis pleinement la scène, j'imagine les situations que je connais, des personnes vous demandent de passer, vous n'entendez pas, elles forcent le passage sans amabilité. » me dira là encore ce spectateur malentendant  venu ce soir pour partager une expérience.

Et il s’agit bien de cela. Marie Vauzelle a adapté le texte fort de Fabrice Melquiot dans cette optique. Le texte est âpre, rugueux, parfois douloureusement audible, à dessein. L’écriture est tranchée, tronçonnée. Elle respire la fureur, la rage, la difficulté à mettre des mots face à l’incompréhensible. Elle oblige à faire un effort, à entendre la voix de la différence, du handicap. La mise en scène et la voix de la comédienne viennent merveilleusement appuyer le propos et m’ont réellement permis de vivre cette expérience si particulière, de partager un bref instant les perceptions d’une personne appareillée.

La partition musicale en live, avec trombone, soubassophone, séquenceur, les images projetées nées de ces sons créent un univers parfois hypnotique qui nous fait traverser la pensée de Véra, son cheminement intellectuel, tout ce qui percute ses perceptions et se répercute dans ses émotions.

Il n’est pas linéaire bien entendu ce cheminement, Véra passe de la rage à la mélancolie et reviens vers son désir de vivre à tout prix, malgré ou avec sa différence, ce « moins » qu’elle voudrait transformer en « plus » …et la pièce se termine sur sa capacité à éteindre le bruit du monde en débranchant ses appareils pour enfin se reposer…l’impact est saisissant : on en rêve tous !

Il existe une deuxième version du spectacle où la comédienne est doublée par une autre actrice en langue des signes. A privilégier si des personnes sourdes qui signent assistent au spectacle car certains présents ce soir n’ont pas pu tout comprendre malgré leurs appareillages.

D’où cette conclusion de l’un d’eux que je vous partage « En fait, c'est une pièce sur la malentendance pour les entendants. Aucun moyen technique mis à disposition pour les personnes en malaudition et c'est un peu dommage. Il y avait du monde, quel sera demain le comportement de ces entendants présents ? »

Peut-être peut-on espérer que ce soir l’art aura encore une fois contribué à faire bouger un peu le monde ?

 

Marie-Pierre

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