Pacamambo
Pacamambo

Spectacle de la Cie Mipana (75), vu à Avignon Off 2016, à la Tâche d’Encre, le 19 Juill., 14h (relâche les 20 et 27)

D’après : Wajdi Mouawad (Actes-Sud Papiers Junior, 2000)

Mise en scène : Joseph Olivennes

Avec : Pamina de Hauteclocque, Jock Maitland, Vianney Ledieu (jeu et violon), Aloysia Delahaut, Rafaële Minnaert (en alternance avec Anne Lefol)

Genre : Théâtre, Conte philosophique

Public : Tous dès 6 ans

Durée : 1h10

Création 2015

Jauge variable

Salle du Rat (60pl), complet ce jour-là

Une petite fille, Julie, a été trouvée inanimée auprès de sa grand-mère Marie-Marie, morte depuis des semaines. Hospitalisée en état de choc, elle est interrogée par un psychiatre qui cherche à comprendre ce qui s'est passé. Encouragée par la présence de son chien Le Gros, Julie se met à raconter. Elle a vu Marie-Marie emmenée par la Lune et a aussitôt cherché le chemin de Pacamambo, pays accessible aux seuls enfants, et où l'on ignore les différences entre les humains. C'est là qu'elle pourra retrouver sa grand-mère, dont elle refuse la disparition. Aux côtés de Marie-Marie, elle attend la Mort pour tout simplement "lui casser la figure". En effet, la Mort vient et donne à l'enfant... des conseils de vie. Entre réel et imaginaire, raisonnement d'adulte et logique d'enfant, ce conte philosophique énonce clairement certaines règles du jeu de la vie et de la mort. Avec des mots justes, il donne aux plus jeunes des clefs pour choisir la vie après la disparition d'un être aimé. On est tenu en suspens tout au long de ce spectacle où l'étonnante et sympathique présence du chien met des notes de fantaisie.

Le public est accueilli par V.Ledieu et son violon. Dans un décor de cave sombre, P.de Hauteclocque (Julie), enroulée dans un drap, est juchée sur un amas de valises. Intensité dramatique dès l'ouverture, avec cette enfant dressée, révoltée et opposante sur fond musical de rock : elle ne dira rien au psychiatre qui l'interroge, rien ! Mais voilà que le décor est réaménagé, découvrant le chien couché là. Alors Julie baisse la garde, et dit tout, depuis le début. C'est ainsi qu'au fil du spectacle de légères modifications de décor suscitent, accompagnent ou suivent les méandres de la narration, sur un fil fragile tendu entre réel et hallucination. C'est inventif et efficace.

Tantôt enfant assise sur une chaise en consultation médicale, tantôt faisant vivre l'histoire pour nous, P.de Hauteclocque bouge, mime, argumente, s'exclame, proteste et ne nous lâche pas une seconde. Elle s'occupe de Marie-Marie, figurée par une poupée couchée, la déplace, la touche, la maquille, veut lui fermer les yeux, etc. Ce rôle, souvent dur, exige beaucoup de finesse, car Julie est convaincue du bien-fondé de ce qu'elle a fait tout en reconnaissant que "Pacamambo n'est qu'une histoire" dans sa tête. Le réel, souci médical, enquête policière ou inquiétude familiale, fait irruption dans les questions du psychiatre (V.Ledieu) et jette une lumière crue sur le fossé qui sépare la logique des adultes de celle des enfants. Julie est ailleurs, dans son imaginaire. Le chien, magnifiquement incarné par J.Maitland fait le lien entre les deux. Très drôle, vêtu en boxeur, il réagit avec bon sens aux bruits et aux odeurs et, dans une scène hallucinante, il annonce l'arrivée de la Mort en jouant de la cornemuse. Car, dans ce spectacle, certains personnages arrivent d'un Ailleurs, ou de l'Au-delà... et ils sont tous totalement crédibles. Il y a le retour sur scène de Marie-Marie, spectatrice désolée que seul le chien peut voir ou entendre. R.Minnaert à la présence lumineuse et bienveillante se livre à de discrètes tentatives pour que sa petite-fille "retourne à la lumière". Superbe. D'abord hiératique et inflexible Lune, A.Delahaut incarne ensuite magistralement une Mort à l'élégance excentrique. Armée d'un couteau, elle répond avec grandeur et humour aux questions "Comment? Que? Qui? Pourquoi?" de Julie. La scène est remarquable et paradoxalement ouverte sur la vie. Cette Mort avoue avoir des limites à sa toute-puissance et à son omniscience : elle ne peut pas emporter les souvenirs. Elle n’emmène pas non plus Julie, qui se résout à continuer "toute seule sur le chemin". Parlons encore de la musique et des jappements, des odeurs, avec celle de la mort embellie par les parfums sortis du 3e tiroir de la commode... des couleurs aussi, qui habillent et maquillent. Ovations du public. Je suis sortie très impressionnée.

Evitant tout effet moralisateur ou morbide, poignant, touchant et non dénué de fantaisie, "Pacamambo" aborde simplement les problématiques liées à la mort. Leçon de vie et de ressourcement après une perte, le spectacle aborde aussi le racisme en termes imagés. La poésie parle ici directement aux enfants et ne peut que toucher aussi les adultes. A programmer pour tous publics.

Catherine Polge

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