Crédit photo : Patrick Laffont de Lojo

Crédit photo : Patrick Laffont de Lojo

ILOT(S)

Un spectacle produit par la compagnie Le premier épisode (14) vu le 17 novembre 2021 au théâtre de l'idéal à Tourcoing, Théâtre du Nord (59)

 

Mise en scène : Yoann Thomerel, Sonia Chiambretto (à partir de leur "Questionnaire élémentaire" réalisé à Tourcoing)

Interprètes : Julien Masson, Jean-François Perrier, Séphora Pondi 

Scénographie, lumière, vidéo : Patrick Laffont de Lojo

Genre : théâtre

Public : adulte à partir de 12 ans

Durée : 1H10

 

Dans le public : le public. En dehors du public : la France. Sur scène : une tentative de saisir sa multiplicité.

 

Non pas une tentative, mille tentatives. Au moins soixante-cinq, le nombre de questions qui s'égrènent tout au long du spectacle, lent interrogatoire auquel on espère répondre convenablement. "Avez-vous des amis ?" "Avez-vous déjà voulu photographier un enfant Rom dans la rue parce que vous le trouviez trop mignon ?" Questions franches, fortes, cyniques, poétiques, dont on espère parfois qu'elles feront mal. "Quand vous croisez un asiatique dans la rue, pensez-vous que ses poches sont pleines de billets ?" L'homme à ma gauche hoche vivement la tête. Aïe. 1 - 0, penalty, on enchaîne sur un match de boxe façon mortal kombat, on s'en relève, le nouvel adversaire est plus coriace, il s'agit du représentant de l'administration de la mairie de Marseille qui tient entre ses mains votre éventuelle demande d'asile, bon, mais la photo est mal cadrée, mince. Revenez dans deux semaines.

 

Les questions fusent, des fils se tissent.  Des histoires - d'où partent-elles ? De quand parlent-elles ? - qui traversent le plateau, des élans, des injures. Des récits de vie qu'on écoute mieux quand on les écoute longtemps. Il y a un homme, par exemple, il ne faisait que profiter du coucher de soleil dans les montagnes, pas de quoi finir sur la voie publique, pas de quoi voir l'huissier débarquer chez lui pour "outrage à agent", pas de quoi fuir le pays. Et pourtant. Le système est injuste, mais je n'ai pas de souci à me faire, j'ai répondu juste à toutes les questions. En plus, je vais au théâtre voir un spectacle qui révèle derrière le drapeau français les trois étendards de l'Algérie, de l'OM et de la communauté LGBTQIA+. Tolérance et différences, il n'y a que sur un plateau de théâtre que cela peut exister : beau lieu pour une utopie.

 

A vrai dire, de diversité, le public n'en comportait pas tellement ; il aurait peut-être fallu lui proposer un miroir pour qu’il contemple son visage unique et homogène. Sur scène, et c’est heureux, un autre son de cloche est proposé : à côté des acteurs et de l'actrice - merveilleuse, d'ailleurs, et forte, touchante, capable en douze secondes de changer la douce remontrance d'une institutrice en violence policière - on trouve des écrans, et sur ces écrans, des visages, des gens, des vrais gens, dont un garçon qu'on ne peut voir qu'ici puisqu'il s'est enfermé dans les toilettes du train pour échapper aux contrôleurs. Et c'est incontestable : ces personnes qui ne sont pas là, elles ont leur mot à dire. Sans doute pour cela n'ont-elles pas besoin du théâtre, mais le théâtre a besoin d'eux. En espérant que grâce à cela nous serons tous devenus, ce soir, non pas meilleurs, mais simplement un petit peu moins entre nous, un peu plus avec eux.


 

Je rencontre à la fin de la représentation Séphora Pondi, une des trois interprètes du spectacle, pour recevoir son éclairage sur la pièce.

 

Mathieu Flamens : Que dire à un spectateur ou une spectatrice qui sortirait de salle en ayant l’impression qu’on lui a fait la morale ?

 

Séphora Pondi : Je dirais dans ce cas que je n’étais pas très bonne ce soir ! Ce sont des questions assez insolentes pour certaines. Même si elles sont assez piquantes et politiques, on essaye de les prendre en charge de manière ludique et avec une certaine innocence. On peut aussi partir du principe que si le spectateur s’est senti accusé, ça le regarde non ? Rires. Ce sont des questions, pas des affirmations. 

 

M.F. : Le spectacle fourmille d’esthétiques et de fils lancés, à tel point qu’on ne sait pas toujours si l’on est dans une narration ou non. Est-ce que vous incarnez toujours un personnage ?

 

S.P. : Non, ce que j’ai à faire, c’est de faire parvenir une écriture. Surtout dans cette pièce où l’on est très peu identifiable : on n’est jamais nommé, on ne fait que poser des questions, on s’empare de récits... J’aime bien ces ruptures, j’aime donner le sentiment qu’on esquisse quelque chose et que ça disparaît. J’espère quand même qu’il y a un fil rouge entre toutes ces choses qu’on tisse. Même si on n’incarne pas des personnages au sens strict du terme, ou académique. Cela me plaît, et j’espère que ça parvient quelque part, ne serait-ce que dans le goût d’entendre. 

 

M.F. : Quelque part, mais où ? A qui s’adresse ce spectacle ?

 

S.P. : Je le trouve tellement étrange que ce serait difficile à dire. Les gens qu’on a interviewés sont venus - à Théâtre Ouvert par exemple, ils étaient au plateau. Ce spectacle, ça fait des années qu’on travaille dessus. Yohann et Sonia ont commencé à bosser sur le questionnaire il y a sept ans, et je les ai rejoins en 2017. La question du public qui vient voir le spectacle, malheureusement, elle n’est pas entre nos mains. Toutes les questions concernant l’habitus, le cadre de vie, le goût, n’ont pas vocation à conforter le spectateur mais au contraire à lui faire prendre conscience qu’il partage un système de signes qui font qu’une population est homogène. Ce soir, je n’ai pas eu le sentiment que tout le monde était pleinement en accord dans la salle par rapport aux questions liées à la police, notamment.

 

M.F. : Est-ce que tu as espoir que cette pièce ait un effet, qu’elle serve à quelque chose ?

 

S.P. : Il se trouve que le théâtre, ce n’est pas mon milieu de départ. Je sais qu’avec Yohann et Sonia, il y a des endroits de reconnaissance. Dix ans en arrière, quand j’ai commencé à faire du théâtre, ça m'aurait beaucoup plu de savoir qu’il y avait une potentielle famille théâtrale, des gens avec qui on avait le même regard, la même envie de parler des mêmes choses. Ce que j’aimerais, ce serait que des gens qui étaient comme moi il y a dix ans la voient et se sentent intégrés, racontés. Cela me plairait beaucoup. 

 

Mathieu Flamens

 

 

 

Retour à l'accueil