A la recherche de la recherche

Spectacle de Jean-Jacques Vanier, vu au théâtre de l'Oriflamme dans le cadre du Festival OFF d'Avignon 2023. 

Auteur, interprète, metteur en scène : Jean-Jacques Vanier

Lumière : Nicolas Priouzeau

Type de public : A partir de 13 ans

Genre : Seul en scène humour/Théâtre

Durée : 70 minutes

Nouveau né de l'univers de Jean-Jacques Vanier tel le bus qui pointe son nez au loin , mais qui passera devant le sien sans s'arrêter, cause de son retard au début de la représentation dont l'anecdote avait elle-même été très précisément écrite par cette fiction nouvellement née mais en avance fictivement sur la réalité de son retard , vous me suivez ? Enfin, vous  le suivez ? Non ! Pas dans le bus, il l'a raté vous dis-je ! Mais vous le suivrez je vous assure. C'est parti pour 70 min d'éclat de splendeur et de rire !

Ce spectacle est le nouveau joyau de sensibilité que l'intelligence et le rire orientent vers les plus forts reflets que seule la puissance conjointe et généreuse d'un jeu juste parvient à établir.. À la table de classe, Jean-Jacques Vanier,  maître, ouvre son cours de lecture sur Proust  et les portes du passé . Lecture de À la recherche du temps perdu. Le prisme de l'histoire du petit (et grand névrosé)  Marcel éclaire alors la logique d'écriture du futur écrivain mais également notre propre écriture mentale dans le paysage de la mémoire et les reliefs du souvenir.

Parvenir à retranscrire les ressorts narratifs de l'atmosphère unique et hilarante créée par Jean-Jacques Vanier est peine perdue, autant que le temps, lui, est retrouvé pour nous par son entremise. À 15 minutes du levé de rideau, l'extinction progressive de la lumière initiée par le  fond de la salle jusqu'alors éclairé,  pour ne garder que la lumière de la scène,  en dévoile néanmoins l'effet ressenti : un embarquement immédiat dans l'intériorité profonde et mystérieuse de l'être , et la joie pour nous public d'y consentir.

De cette joie qui s'anime quand sans repérer précisément les ficelles qui  fondent une telle émergence, les émotions surgissent presque incréées par la signifiance et la grâce d'une création justement,  qui de fait nous emporte pour nous  replacer  un peu plus près du réel , de l'autre et de nous-mêmes. 

Ça fonctionne  ou c'est efficace d'aucuns de la partie diront.  Cela s'appelle  peut être  simplement le talent.Ou la générosité d'un artiste qui donne et n'attend rien d'autre en retour que le vif sentiment d'avoir mouvementé les cœurs et les esprits sur la ligne virtuose d'une interprétation magistrale. Le public rit continûment.

La thérapie de groupe  imaginée pour Proust prend des figures de haut vol cathartique.  Sa mère à  Marcel  ne venait pas  dans sa chambre pour l' embrasser le soir  dans son lit pour l'endormir quand il était petit...Le drame de sa vie.

Par où la pensée proustienne convoque les sens pour faire de ce nouveau seul en scène de Jean-Jacques Vanier une madeleine promise à l'infinie présence du mémoriel dans sa portée la plus exemplaire. Une magie à vivre par la voie ouverte et éclairée de l'artiste et des cœurs touchés et guidés vers cet espace sacré en eux qui entendra - en hospitalité face à toute énigme- la beauté nécessaire singulière et parrèsiaste de Proust. Retentira alors la parole de Proust dont le verbe résonne à l'unisson de la splendeur émotive du récitant. 

Musique , fondu noir. Applaudissements (aussi longs que les interminables phrases de Proust). Et un je-ne-sais-quoi en soi qui demeure alors. Une envie de lire et gravir cet Everest. Une envie de pleurer aussi comme une joie à la douleur désirée. Et victorieuse .

Plus que vous recommander ce spectacle, je vous le souhaite . 

Ludivine Vincent