Betùn
Betùn

Spectacle de La Cie Teatro Strappato vu à Nîmes (30) le 10 octobre 2023 au Théâtre de l’Odeon, programmé par les ATP.

 

Mise en scène : Vene Vieitez

Jeu : Cecilia Scrittore, Vene Vieitez

Céation des masques : Cecilia Scrittore, Vene Vieitez

Type de public : à partir de 12 ans

Genre : Théâtre de masques

Durée : 1h10

 

Tout commence dans une poubelle…et tout est dit ! Et rien ne sera dit.

 

Betùn est en effet un spectacle sans parole (mais plein de sons et de bruits), car la vie des enfants des rues qui va nous être racontée est au-delà des mots. Parce qu’aussi, comme il nous sera expliqué au moment du bord de scène à l’issue de la représentation, la vie de ces enfants n’est pas faite de mots mais uniquement d’actions ; des actions violentes, éprouvantes, il s’agit en effet de survivre à la faim, au froid, aux prédateurs de toute sorte et surtout à la solitude.

Mais même sans les mots, tant d’émotions m’ont fait vibrer pendant cette heure passée avec Betùn et ses camarades d’infortune !

Par exemple cette scène où Betùn va chercher dans le public une toute jeune fille pour se lover contre elle, lui demander un peu de tendresse qu’elle lui donnera avec timidité m’a profondément touché. Une spectatrice y a vu du Chaplin, c’est tout dire !

Il y a aussi ce moment où Betùn trop confiant et tellement en attente qu’un simple ours en peluche le fera tomber dans les griffes d’un horrible prédateur. La scène est tout à la fois explicite, violente et pudique. Quelle finesse pour faire ressentir une telle palette d’émotions !

J’ai ressenti beaucoup de délicatesse dans le regard porté sur ces enfants des rues. Une délicatesse qui leur est ici rendue car ils n’en reçoivent aucune dans leur parcours cabossés.

La délicatesse passe par la musique, les éclairages et bien sûr par le jeu des acteurs et leurs masques, de vrais personnages à part entière. Ces masques en cuir de la Comédia Dell’arte, servant ici une tragédie, sont fabriqués par eux-mêmes, par un minutieux procédé qu’ils nous expliqueront également en fin de représentation.

Le masque à lui seul EST Betùn et la comédienne lui prête son corps, exprime ses peurs, ses souffrances, ses quelques joies fugaces, ses rêves par des mouvements qui transmettent tellement finement ses ressentis. 

Les autres personnages sont tous joués par le même comédien qui change de costumes et de masques de nombreuses fois, à vue sur scène...car dans la rue rien ne peut être caché !

L’humour est aussi présent par moment, peut-être pour alléger le propos parce tout est trop dur ? La comédienne nous dira en effet que la violence exprimée sur scène n’est rien à côté de ce que les enfants des rues endurent.

Le spectacle a été conçu suite à de longues périodes d'échanges que les créateurs ont eu avec des enfants de rues en Bolivie, ainsi qu’avec les éducateurs qui travaillent avec eux.

Lorsque les enfants ont vu le spectacle, puisqu’il leur a été présenté, leur réaction à tous a été de dire : « Ce n’est pas un spectacle sur les enfants, mais sur les adultes ». Et oui, en fait les adultes que ces enfants vont rencontrer sont tous défaillants, rejetants, méchants, profiteurs, voire pire.

Et ce spectacle est vital car il nous renvoie nos manquements d’adultes, comment se fait-il que personne n’arrive à les protéger et qu’aujourd’hui encore 100 millions d’enfants vivent dans les rues à travers le monde ?

Un spectacle salutaire et indispensable, à programmer pour sa beauté et sa poésie mais surtout pour le message qu’il transmet.

Petit conseil aux programmateurs : prévoyez vraiment un temps d’échanges avec les comédiens à l’issue de la représentation qui enrichira mille fois le propos. Il se dégage d’eux une telle sincérité, une telle générosité, une telle douceur malgré ce qu’ils ont vu et entendu…et surtout, vous serez étonnés que le masque de Betùn, même tombé du visage de l’actrice, soit encore si vivant !

 

Marie Pierre 

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