La mariage forcé
La mariage forcé

Spectacle de la compagnie Munstrum (68), vu le samedi 13 Avril au théâtre des Célestins, Lyon (69)

 

Auteur : Molière

Mise en scène : Louis Arène

Avec : Sylvia Bergé, Julie Sicard, Christian Hecq, Benjamin Lavernhe et Gaël Kamilindi

Dramaturgie : Laurent Muhlheisen

Public : À partir de 15 ans

Genre : Théâtre

Durée : 1h00

 

Artistes associés au Théâtre des Célestins, la compagnie du Munstrum, co-dirigée par Louis Arène et Lionel Lingolser, finit sa saison à Lyon en revisitant Le Mariage forcé de Molière, comédie en un acte créée, en mai 2022 au Studio de la comédie Française.

 

Sous couvert de revêtir tous les aspects de la farce classique (une histoire de mariage, des quiproquos, et des personnages tournés en ridicule) Le Mariage Forcé continue encore aujourd’hui de séduire par sa forme courte et efficace. 

L’intrigue tient en quelques lignes : Sganarelle a cinquante ans passés et veut se marier à une très jeune fille, Dorimène, qu’il connaît à peine. Tout au long de la farce, il réalise ce que ce mariage impliquera concrètement pour lui, du point de vue de ses finances d’abord, et de la fidélité qu’il engage ensuite.

Sans révéler le reste de la pièce, l’intrigue tient à la tentative d’échapper à un mariage que le personnage a lui-même contracté, une tentative qui évidemment échouera, et donnera raison comme dans toutes les pièces de Molière, à la jeunesse, en punissant les sentiments libidineux des personnages vieillissants.

La force de la proposition tient pour moi à la réactualisation de la notion de farce que propose le Munstrum.

Si l’on s’intéresse un peu aux procédés comiques de la farce chez Molière, on remarque assez rapidement que ce qui fait rire, et qui fait aussi que le public adhère très fort au propos, c’est que les « méchants » (les pères tyranniques, les avares, les vieux monsieurs qui aiment les très jeunes filles), sont punis, et quand je dis punis c’est évidemment un euphémisme puisque les personnages sont battus au sang (comme dans les Fourberies de Scapin), perdent l’intégralité de leurs biens, etc… En d’autres termes, on pourrait faire une lecture des pièces de Molière en mettant en avant l’idée que chacune des comédies s’appuie sur un degré plus au moins prononcé de cruauté pour résoudre son intrigue. Dans cette mise en scène, Louis Arène se ré-empare de cette notion de cruauté, et décide de pousser les curseurs très loin puisqu’il ira jusqu’à faire émasculer Sganarelle, qui nous est peint dans la pièce comme une sorte de vieillard pédophile et salace.

La proposition tient donc à cette grande violence que l’on inflige joyeusement à ce personnage, placé dès le début du spectacle au centre d’un grand cube de bois blanc, dont il ne sortira pas, et à l’intérieur duquel des trappes s’ouvrent et se referment, afin de laisser apparaître ceux qui viendront contribuer à son humiliation, une humiliation qui s'amplifie à l'extrême au fil de la farce. 

La violence est néanmoins, pour éviter de tomber dans le gore, toujours esthétisée. Le public a accès tout au long du spectacle aux trucages nécessaires à sa réalisation (par exemple, on voit très nettement les prothèses qui composent les corps des comédiens, on nous montre aussi la facticité des accessoires – des verres collés sur un plateau qui ne tombent pas quand on le renverse, on perçoit très clairement que les coups donnés sont des faux coups, etc…). L’esthétique du jeu et de la mise en scène prend en charge cette violence, en faisant en sorte que le public ait en même temps qu’elle advient, tous les outils pour comprendre qu’elle n’est pas en train d’opérer activement au plateau. Ce qui agit c’est alors plutôt une violence symbolique, auquel on croit tout autant, et qui quelque part la rend possible : si la salle est hilare devant l’émasculation de Sganarelle, c’est aussi parce que tout le monde voit bien que ce qui est en train d’être enlevé, c’était un morceau de prothèse que l’on dé-scotche. C’est en jouant sur la convention théâtrale, avec des artifices très peu crédibles mais très opérants, que finalement cette violence nous parvient et qu’elle déclenche chez le public le rire : on rit parce qu’on sait que c’est faux.

Les effets comiques, c’est évidemment ce qui semble être au cœur de cette mise en scène, qui, alors qu’esthétiquement on assiste à un spectacle plutôt sobre dans sa scénographie, regorge de blagues, de gags, de costumes loufoques, en proposant des personnages très archétypaux, et même des prises de libertés avec le texte initial pour y injecter quelques jeux de mots. Le jeu des comédiens, inscrit dans une proposition formelle forte, rappelle les modes de jeu très formalisés de l’époque, et vient faire contraste avec la violence très actuelle qui nous parvient, renforçant son ridicule, son absurdité. Cette myriade d’effets paraît parfois un peu lourde, certaines blagues attrapent très fort, d’autres semblent un peu plus plaquées, mais ce sont là finalement des considérations assez subjectives qui ont à voir avec l’appréciation de l’humour par chacun et chacune.

En bref, la mise en scène de Louis Arène m’est apparue comme d’une grande vivacité, on sent des prises de directions originales et incongrues, des vraies trouvailles dans la réactualisation du texte, des écarts assumés par rapport au propos d’origine, une fougue et un plaisir à être subversif, à extrêmiser les situations, et surtout un engagement sans faille à rester libre et à s’affranchir de toute véritable convention. Un engagement qu’on ne peut que saluer. 

 

Raphaël Sauvage

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