Au loin les oiseaux
20 nov. 2023Spectacle de la compagnie Akté (76), vu le 09/11/2023 au théâtre Le Tangram (27) à 20h00.
Auteur : Manon Ona
Comédiens : Manon Thorel, Arnaud Troalic, Nadia Sahali, Jean-Marc Talbot, Valérie Diome, Nadir Louatib, Marie-Charlotte Dracon, Yann Berthelot
Mise en scène : Anne-Sophie Pauchet
Type de public : Tout public
Genre : Théâtre
Durée : 1h50
En 2012, Jacqueline Sauvage abat son mari de trois balles dans le dos et plaide coupable en se rendant à la police immédiatement après. Pourtant, son procès fut extrêmement délicat, posant la question d’une légitime défense en réponse à un harcèlement et une emprise qu’elle aurait subi, elle et ses enfants, durant plus de 40 ans. Elle est finalement jugée coupable, condamnée et libérée par grâce présidentielle.
Au loin les oiseaux est une pièce originale, qui traite de l’affaire Jacqueline Sauvage sous un angle innovant et inattendu, vu qu’elle en parle, pour ainsi dire, le moins possible et se concentre sur un protagoniste essentiel et le plus souvent laissé pour compte dans ce genre d’histoire : le jury. La pièce est faite d’une alternance de scènes narrées, très cinématographiques et très inspirées, présentant le jury potentiel, cette masse d’individus dont nous faisons partie, enfermés dans une vie quotidienne banale et particulière à la fois, et des scènes plus théâtrales, plus lourdes, représentant le jury choisi en train de (se) débattre autour de l’affaire.
La pièce pose la question du lien entre le crime, la justice, le citoyen et l’individu, incarné par ce corps méconnu et ambigu qu’est le jury. Elle ambitionne d’ailleurs de mettre le spectateur dans la peau d’un de ses membres mais donne tellement peu d’élément du procès que l’effet ne vient pas naturellement. À la place, on se sent un peu perdu et déconcerté, comme bizarrement exclu d’une scène jouée pour nous, invité à observer des personnages que l’on ne connaît pas débattre abstraitement d’un sujet auquel on refuse de nous donner accès. C’est dommage, parce que les débats sont très intéressants, le texte est très (voire trop) bien écrit, les acteurs jouent très bien, incarnant tour à tour personnages et narrateurs qu’une mise en scène très précise permet de faire coexister ; mais je n’ai pas ressenti grand chose. Cela m’a donné un peu l’impression d’écouter du jazz avant-gardiste : la sensation d’être confronté à une virtuosité impressionnante, mais qui semble plus utilisée à explorer les limites techniques d’un art et à en éviter la simplicité qu’à s’adresser réellement au public. Beaucoup de choix m’ont semblé excessivement savants et techniques au détriment de l’intention, qui nous est à la fois mise grossièrement sous le nez et à la fois dérobée par la volonté de la promouvoir avec panache.
Les mots virevoltent en nuée autour du propos, comme des fioritures d’une mélodie que l’on est censé deviner par les nuances expertes des omissions harmoniques. Cela commence par les personnages, qui sont joliment décrits plus que présentés, mais que l’on ne rencontre jamais concrètement. C’est agréable et amusant dans les scènes narratives, leur donnant un côté vaporeux et envoûtant, mais cela rend les autres scènes fatigantes, comme manquant de matière pour se condenser ; et elles sont malheureusement bien trop timides pour compenser l’espace vacant. Le jury se contente de parler en pointillé, sans s’emporter autrement qu’en mot, comme contenu dans une sorte de réserve réaliste qui conviendrait au cinéma, mais qui manque de force sur scène. Toute l’action, tout le concret est caché ou absent. On est obligé de les visualiser mentalement, en plus de devoir les relier à des personnages qu’il a fallu mémoriser ainsi qu’à une histoire que l’on peine à deviner et qui en elle-même est censée susciter notre intellect. C’est comme faire un puzzle difficile dans le noir, on est submergé par le manque d’information et le décodage des rares qui nous sont accessibles ; cela rend l’expérience de la pièce abstraite et fastidieuse, n’y laissant, pour ma part, que peu de place aux élans de cœur, à l’investissement émotionnel et à la réflexion.
Je trouve cela dommage, il y a dans cette pièce un élan intéressant, un regard original sur un sujet complexe mais qui peine à prendre de la substance, comme si elle en sabotait l’expression de peur que l’on perçoive autre chose que ce regard.
Alexandre SAINT-DIZIER