alexandre-berdat_les-bonnes.pngSpectacle de la compagnie Alexandre Berdat

à partir de la pièce de Jean Genet

vu au théâtre Au bout là-bas lors du festival OFF d'Avignon 2012.

Présent sur le Off 2013

Interprètes : Marine Assaiante, Céline Mauge, Lise Pujol
Mise en scène : Alexandre Berdat

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Le chef d'œuvre de Jean Genet (dont on dit qu'il est inspiré de ce fait-divers tragique qui deviendra l'Affaire Papin avec le procès des domestiques « modèles ») a éveillé l'intérêt de la France entière en 1933, des couches populaires aux milieux littéraires et intellectuels (parmi lesquels les Surréalistes qui étaient fascinés par ce double meurtre). Si la similitude entre les Bonnes et l'histoire des sœurs Papin est frappante, Jean Genet a toujours farouchement nié s'être inspiré d'un fait divers particulier pour sa pièce, à laquelle il donne d'ailleurs une issue différente. Il reprend, de toute façon, le même thème débattu après ce fait divers : le rapport de forces entre grands bourgeois et personnel de maison qui pouvait prendre des allures de relation maître-esclave, à une période où la domesticité avait pignon sur rue, tout du moins aux étages supérieurs des immeubles cossus des beaux quartiers parisiens ou provinciaux... Dans sa pièce, Jean Genet illustre cette tendance à travers une quête identitaire douloureuse.

Les bonnes sont Solange (l’aînée, qui semble plus révoltée) et Claire (qui paraît plus réservée). Elles sont au service d’une riche femme bourgeoise depuis plusieurs années. Ces deux sœurs entretiennent une relation assez ambiguë, peut-être homosexuelle, s’habillent à tour de rôle des robes de leur maîtresse, Madame, lors de scènes où les personnalités se mélangent, où les notions de personnages du théâtre perdent leur sens habituel : Claire se prend pour Madame, et Solange pour Claire. Au début, on est déroutés, on ne sait pas qui est qui, puis la folie du jeu sadique se révèle dans toute son horreur, au sein d'un huis-clos étouffant. Les deux comédiennes jouant le rôle des deux soeurs adoptent un jeu très physique, très en contact, où les regards sont aussi d'une grande force. Violence et érotisme sont très présents, jetant le trouble chez le spectateur pris dans cette relation auto-destructrice. Car Claire et Solange sont des pantins tragiques qui se débattent tout en sachant, au fond, qu'elles courent à leur perte. Il ne leur reste qu'à choisir la perte, si tant est qu'elles aient ce choix... En attendant, elles improvisent sans cesse sur le même canevas, jusqu'à ce que celui-ci dérape. Madame entre en scène, et c'est une respiration pour le spectateur mais de courte durée, car on comprend alors d'où viennent les rôles que se donnaient les deux bonnes. C'est elle, Madame, qui est à l'origine de tout, qui manipule les ficelles, sans s'imaginer une seule seconde la violence réelle qui se joue dans l'âme de ses domestiques.

Lorsque Marc Barbezat publie en 1947 "Les Bonnes" de Jean Genet, la pièce est précédée d’un  avertissement : « Comment jouer Les Bonnes ». On en connaît la phrase la plus célèbre : « Les actrices sont donc priées, comme disent les Grecs, de ne pas poser leur con sur la table. ». Genet blâme « l’érotisme individuel au théâtre » et ne cesse de répéter qu’il a écrit un conte : « Il s’agit d’un conte... c’est un conte... un conte... sous forme de conte... ». Peut-être cherche-t-il à se démarquer du fait divers qui l’a inspiré, mais il y va aussi d’une quête de "clownerie", et d'outrance figurative. « Chaque geste » écrit encore Genet « suspendra les actrices. ». Les trois comédiennes (surtout celles qui jouent les bonnes) sont fidèles à cet avertissement, où Genêt  écrit encore : « Je vais au théâtre afin de me voir sur la scène (restitué en un seul personnage ou à l’aide d’un personnage multiple et sous forme de conte) tel que je ne saurais - ou n’oserais - me voir ou me rêver, et tel pourtant que je me sais être. ». Le spectateur peut garder cette phrase en tête en allant voir cette adaptation des Bonnes.

On suit avec effroi le cheminement des deux soeurs, mais aussi avec fascination. Les comédiennes savent interpréter nos plus sombres penchants. On est captivés.

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