Le Moby Dick
Le Moby Dick

Spectacle produit par Compote de Prod (75), 8256 street et la 9ème production, vu au théâtre des Gémeaux à Avignon le 9 juin, dans le cadre de l'avant-première du Festival d'Avignon 2023.

 

Libre adaptation du roman d'Herman Melville

Création et Mise en scène : Lina Lamara  

Interprètes : Valérie Zacommer, Alain Leclerc, Alexis Dusseaux, Adrien Bernard Brunel, Stéphane Titeca, Pierre Benoist, Akim Chir, Nicolas Soulié, Antonio Macipe, Alexis Metzinger

Genre : Théâtre contemporain

Durée : 1h30

Public : à partir de 12 ans

 

Le port du Havre, en 2002. Les docks.

A l'annonce d'une restructuration dans le port du Havre le monde des dockers s'en trouve bouleversé : les intérimaires remplaceront les dockers installés depuis des décennies, les machines, un jour, remplaceront les hommes. La tentative de suicide d'un « mis en retraite anticipée » déclenchera une grève qui va prendre une dimension internationale.

Les dockers seront alors tenus pour responsables d'une augmentation de la crise écologique, les transports terrestres et aériens étant très sollicités par manque de transport par voie fluviale.

Cette pièce traite de la condition sociale ouvrière, du remplacement des hommes par les machines, de la responsabilité écologique, de l'amitié et de la famille. Mais tout n'est pas triste dans cette histoire qui n'est pas dénuée d’humour, on pénètre dans le monde très fermé des dockers, où l'on entre que si l'on est fils de, ou mari d'une fille de... Un monde opaque qui a ses règles et ses droits. Un monde dur, mais la fraternité est de rigueur entre les dockers qui, souvent, y font carrière ; toute une vie sur le port...

Mention spéciale au capitaine Achab interprété par le brillant Alain Leclerc, un habitué du Festival, qui m'avait tant ému lors de son monologue « Le dernier jour du condamné » de Victor Hugo ; un comédien « habité ».

J'ai pu revoir aussi Alexis Desseaux dans « Le choix des âmes » et sa magistrale interprétation, accompagné de Stéphane Titeca. Là, il est Bob l'incompris qui fera tout pour empêcher cette grève, lui qui vient de fêter son départ en retraite après tant d'années de sacrifices.

Valérie Zacommer sera Berda, la « RH », la Cheffe, celle qui porte la voix de ceux d'en haut, qui annoncera un « plan de restructuration » et des mises en retraite anticipées...Elle incarnera l''étincelle, le feu aux poudres d'un foyer qui couvait sous la cendre du manque de considération pour ces hommes indispensables mais néanmoins invisibles. Elle joue aussi la maîtresse de Sidi, sa totale opposée, car il n'y aura qu'une femme dans cette pièce pour illustrer le manque de parité dans beaucoup de domaines, et particulièrement dans le monde de la mer : « pas de femmes chez les dockers » c'est un peu comme chez les marins, les femmes restent au port en attendant les hommes...

Le décor est époustouflant d'ingéniosité : des plaques en tôle ondulée serviront tour à tour de bureau, de bar ou de barricades lorsque la lutte se corsera, les échafaudages se déplaçant sur roulettes permettront de jouer à différentes hauteurs, les lourdes chaînes qui servent autant à fermer les containers qu'à brider symboliquement les envies de contestation de ces hommes qui ont consacré leurs vies aux docks...

La musique, scandée comme le bruit des cargos dans les ports avec des percussions dignes de nos Tambours du Bronx, le « Haka » final des dockers qui fait « boum boum », c'est bien vibrant. Si tous les gars du monde... On embrasse la lutte, on y croit et l'Utopie a du bon, parfois...

Un spectacle magistral, par la qualité de la mise en scène, du décor, de la musique et de la performance sans faux pas des comédiens. A ne pas rater lors du prochain Festival d'Avignon !

 

Evelyne Karam

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