Le jeu des ombres
01 mai 2024Un spectacle produit par le Théâtre National de la Criée (13) et vu au Théâtre des Bouffes du Nord le 30 avril 2024.
Texte : Valère Novarina
Mise en scène: Jean Bellorini
Musique : Monteverdi
Scénographie : Jean Bellorini et Véronique Chazal
Musique originale : Sébastien Trouvé, Jérémie Poirier-Quinot, Jean Bellorini, Clément Griffaut
Costumes : Macha Makeïeff assistée de Claudine Crauland
Lumière : Jean Bellorini et Luc Muscillo
Comédiens et chanteurs : François Deblock ;Mathieu Delmonté, Karyll Elgrichi, Anke Engelsmann, Aliénor Feix, Jacques Hadjaje, Clara Mayer, Laurence Mayor, Liza Alegria Ndikita, Marc Plas et Ulrich Verdoni
Musiciens : Anthony Caillet, Guilhem Fabre, Barbara Le Leipvre, Benoit Prisset.
Genre : Théâtre musical
Public : spectacle adulte
Durée : 2H20
Jeune femme, j’avais entrepris de découvrir Valère Novarina. L’expérience a été à tel point cruelle que j’ai jusqu’à ce jour fui tout spectacle le mettant en scène. Mais peut-être étais-je alors trop jeune ? Bellorini, grand vulgarisateur, au sens noble du terme, des textes les plus ardus, m’offrait l’occasion de revenir, peut-être, sur un jugement précoce.
Jean Bellorini a confié à Valère Novarina le soin d’une réécriture du mythe d’Orphée. Ce sera le « jeu des ombres ».
L’écrin légendaire des Bouffes du Nord est magnifié par une scénographie très dépouillée. Une lumière chaude pour la vie terrestre, un noir dense percé de lampions sur poteaux pour les Enfers. Des gobos pour dessiner portes et tombes ; une rampe de feu pour le Styx. En fond de scène, deux petits paravents orange et amovibles ou une grande allemande, c’est selon. Des caisses de pianos désossés et une grande boîte constituent les accessoires de jeu des comédiens. Disséminés sur les bords de scènes les claviers, intacts ceux-là, ainsi qu’une grosse caisse accueillent les musiciens.
Au début, le dispositif n’est pas sans rappeler celui de Samuel Achache et Jeanne Candel qui mêle théâtre et musique classique dans un souci, là aussi, de vulgarisation de haut niveau. Ironie du sort, j’ai un souvenir impérissable de leur Orphéo (chroniqué).
Pour la musique, le public a le grand plaisir d’entendre des airs de l’Orféo de Monteverdi admirablement interprétés. Certains thèmes ont été réarrangés de façon jazzy et ce n’est pas inintéressant. Je suis plus circonspecte quand on tombe dans la variété.
Pour le théâtre, c’est donc l’histoire de nos amants que la mort sépare. Heureusement que le programme précise que le mythe d’Orphée opère comme un lointain écho chez Novarina. Car dans sa verve, nos pauvres Orphée et Eurydice disparaissent bientôt dans les limbes, réduits qu’ils sont au rang de simples prétextes pour la langue de Novarina. Le spectacle est en fait une interminable dissertation poétique et métaphysique sur la mort, le temps, la matière, le corps, le langage, Dieu. Il y en a qui adorent. Personnellement, j'ai été sensible aux trouvailles langagières, aux licences poétiques, aux fulgurances parfois très drôles. Mais j’ai totalement saturé comme d’aucuns dans le public à commencer par l’amie qui m’accompagnait. C’est dans cette jouissance du lyrisme que l’on peut apprécier la virtuosité des comédiens en voix naturelle (sauf 4). Il faut se les bouffer les tirades ! Et ils le font avec un naturel déconcertant, parfois en dansant, ou bien tels Laurell et Hardy, en se donnant la réplique ou dans des positions des plus inconfortables comme des squelettes de catacombes. En parlant des squelettes, il n’est pas anodin de noter le physique de certains comédiens dont l’aspect spectral est souligné par le costume ou les tatouages. Dans un jeu à la fois très physique et très technique, ils articulent un texte d’une rare densité et le font vivre envers et contre tout. Corollaire de l’exercice de style, le spectacle manque singulièrement d’émotions, à l’exception de l’Eurydice portée par Karyll Elgrichi et des deux chanteurs.
« Le jeu des ombres » est un spectacle techniquement parfait. Il faut seulement aimer la langue de Novarina. Pour ma part et malgré les qualités de l’ensemble, Bellorini n’aura pas su entièrement me convaincre.
Catherine wolff