Visage de feu
15 nov. 2015Spectacle du collectif Cohue (14), vu au Monfort (Paris XIV°), le 10/11/2015
Mise en scène : Martin Legros
Texte : Marius von Mayenburg
Interprétation : Stéphane Fauvel, Sophie Lebrun, Julien Girard, Joana Rosnoblet, Baptiste Legros
Genre : Théâtre
Public : Adulte
Durée : 1h35
Le collectif Cohue, dans "Visage de feu" de Marius von Mayenburg, donne à voir un huis clos familial digne des plus tragiques faits divers. Dans un décor minimaliste en noir, quelques objets blancs au design soigné, campent un intérieur plutôt aisé. Il est occupé par Monsieur et Madame (Stéphane Fauvel et Sophie Lebrun) et leurs grands ados, Kurt et Olga (Baptiste Legros et Joana Rosnoblet). La première partie, toute en distanciation (les personnages se présentent en pleine lumière, les didascalies sont dites), montre une famille dans laquelle le couple parental, mort, balance entre vacheries et incommunicabilité. Pour survivre à ce fiasco, les deux enfants se sont construits un monde à part, à priori vif, indissociable et solidaire dans l’opposition aux parents. Tout cela est d’une banalité déconcertante jusqu’à ce que la seule figure du dehors, Paul (Julien Girard), le petit ami d’Olga, fasse irruption, révèle le dysfonctionnement profond de toute la famille et enclenche, à son corps défendant, le drame.
On découvre alors deux enfants, assoiffés de sensations fortes et qui se sont constitués en petit couple au sens propre du terme. On comprend que Kurt est un pyromane pathologique rongé par la jalousie. On mesure à quel point les parents sont déçus par leurs enfants, à commencer par le père qui jette son dévolu sur Paul, "un homme, un vrai". A mesure que les enfants explosent, le couple parental se ressoude jusqu’à la tragédie finale. A ce stade du spectacle, la distanciation laisse place à un jeu très physique et qui fait fi des conventions théâtrales. Les personnages se prennent au corps, le plateau est maculé tour à tour de gerbe, de fumée, de sang. Cette seconde partie est très forte parce que l’intensité dramatique de la pièce est rendue perceptible par une mise en scène presque punk, une bande son oppressante et un jeu où l’émotion se libère enfin. Le jeu de Paul en particulier qui sous couvert d’être l’idiot du village apparaît comme la seule figure rédemptrice mais qui échoue.
On regrette que les autres comédiens n’aient pas cette même amplitude de jeu. Outre des accrocs dans le texte, le jeu des uns et des autres reste convenu pour ne pas dire quelque peu faux. A commencer, à mon sens, par la mère, bien trop jeune pour le rôle. Je déplore également la trop grande platitude la première partie. Certes, il fallait montrer le quotidien morne de cette famille où la musique (trop présente) comble le vide de la parole. Certes la distanciation est une excellente idée. Mais il manque la violence du dysfonctionnement familial dont on peut imaginer qu’il génère le passage à l’acte des enfants. Cette violence initiale est trop passée sous silence pour que l’on comprenne pleinement le déchaînement de violence qui s’ensuit. Malgré ces quelques réserves, c’est un travail rigoureux qui, sans doute, se bonifiera en se rodant. On assiste à un spectacle de bonne tenue et qui a le mérite de faire découvrir ce texte et cet auteur peu montrés en France.
Catherine Wolff