Mère
Mère

 

Un spectacle produit par  le Théâtre National de la Colline (75) et vu le 4 décembre 2021 au Théâtre National de la Colline.

 

Texte : Wajdi Mouawad

Mise en scène : Wajdi Mouawad

Comédiens : Odette Makhlouf, Wajdi Mouawad, Christine Ockrent, Aïda Sabra, et dans le rôle de l’enfant (sauf erreur de ma part, le programme ne précise pas lequel des quatre  jouait précisément le 4 décembre !) Emmanuel Abboud ou Théo Akiki ou Dany Aridi ou Augustin Maîtrehenry.

Genre : Théâtre

Public : adulte

Durée : 2 H10

 

Quand Wajdi Mouawad est à l’affiche, aucune hésitation, j’y vais. Quitte à être comme ce soir, à l’issue de la représentation de « Mère », perplexe.

 

Dans « Mère », Wajdi Mouawad inaugure un genre relativement nouveau au théâtre, l’autobiographie. Mais au-delà de son cas personnel, il s’agit en cinq tableaux, d’interroger les ravages de l’exil sur les individus.

Le spectacle commence façon seul-en-scène. Wajdi Mouawad, après les annonces d’usage en amont de la pièce, entreprend de nous présenter la genèse de son travail et les choix de traduction pour l’arabe libanais. Précision cruciale qui permet d’entendre un langage oriental fleuri et comique, du moins au début. Puis le metteur en scène s’efface derrière les comédiens qui l’incarnent lui et ses proches 34 ans auparavant. Le spectateur est témoin d’un huis-clos étouffant, hystérique et exubérant dans ce qui fut, pendant 5 ans, leur meublé parisien.

La reconstitution, standards de variété et de jingle compris, est parfaite. Une pièce unique dotée du strict nécessaire : une table pour s’adonner de façon obsessionnelle à la cuisine, un canapé et un fauteuil simili Louis XV, une reproduction du « vase bleu » de Cézanne, un transistor, une télé, un téléphone. En fond de scène  un panneau pour les projections et les sur-titrages.

Le jeu est époustouflant de justesse, en particulier pour la mère et le tout jeune Mouawad. Il laisse exploser la douleur du déracinement, la peur de la perte de l’identité et le choc des cultures,  la séparation d’avec le père et mari resté au pays, l’atomisation de la famille réfugiée au quatre coins du monde, la violence de la guerre enfin et qui envahit tout : ce sont  d’abord ces images d’archives projetées à mesure que le 20H se déroule en présence même de la vraie Christine Ockrent, c’est ensuite ce téléphone, seul cordon avec le monde extérieur, dont la sonnerie se meut peu à peu en tir de mitraillette ; ce sont enfin ces histoires « drôles » que l’on se raconte en faisant la cuisine et dont les narrateurs n’entendent même plus la part d’horreur. Dans cet espace, Wajdi Mouawad, dans le rôle de régisseur plateau, erre tel un fantôme de théâtre ou tel l’adulte d’aujourd’hui qui regarde avec recul ceux d’avant. Autant cette présence muette fait sens, autant la scène où il convoque sa mère morte pour un dialogue entre adultes frise le pathos.

L’articulation entre l’histoire personnelle et la grande histoire est donc parfois bancale. L’histoire est tristement plate dans le sens où, théâtralement parlant, il n’y a pas d’intrigue. Tout repose sur l’hystérisation de la mère, si admirablement réussie que le spectateur ressort les oreilles saturées. Pour eux, c’est moins la reproduction du tableau de Cézanne qui aura servi de fenêtre extérieure que ce jeu admirable, ces clins d’œil au années 80 et la surprise de voir Christine Ockrent jouer le jeu.

 

La salle a longuement ovationné. Les comédiens le méritaient amplement. Sur le fond, c’est l’acte politique de Wajdi Mouwad que je salue : à l’heure des discours obscènes à force d’être décomplexés, il est essentiel de rappeler que l’on ne fuit pas son pays par opportunisme et que l’exil est bien souvent un naufrage.

 

Catherine Wolff

 

 

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